Au Cameroun, Paul Biya, 92 ans, s’apprête à rempiler pour un huitième mandat, le mois prochain, tandis qu’en Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara, 83 ans, en briguera un quatrième. La vedette du moment est pourtant le Béninois Patrice Talon, qui vient de désigner son dauphin, confirmant son départ du pouvoir en avril prochain. L’admiration qu’il suscite est-elle justifiée ?

Dresser des colonnes d’apothéoses à la gloire d’un chef d’État, simplement parce qu’il se conforme à une limitation de mandats prescrite par la Constitution de son pays, relève d’une certaine facilité intellectuelle. Si ne pas contourner une règle ou un interdit suscite autant d’effusions, c’est parce que la propension des dirigeants africains à rudoyer la loi fondamentale est telle que beaucoup sont émerveillés, lorsque certains s’abstiennent de tricher. En Afrique, les resquilleurs prospèrent surtout dans le microcosme francophone. Anglophones et lusophones sont d’ordinaire plus respectueux des textes.
En Afrique de l’Ouest, en dehors de la Gambie, revenue depuis peu à la démocratie après deux décennies de despotisme, aucun chef d’Etat anglophone n’a effectué plus de deux mandats, depuis 1992, au Ghana ; 1996, en Sierra Leone ; 1999, au Nigeria ; et 2006, au Liberia. Au Cap-Vert, Aristides Pereira est le dernier à avoir assumé trois mandats, en 1991. Même la Guinée-Bissau, avec ses travers, s’efforce de respecter cette limitation.
Par contre, sur huit pays francophones, seul le Bénin s’est régulièrement conformé, depuis 1991, à cette règle. Partout ailleurs, la Constitution a subi de malicieuses révisions. Au Sénégal, Abdoulaye Wade a ainsi pu briguer, en 2012, un troisième mandat, que les électeurs lui ont refusé.
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Le Bénin, l’unique bon élève francophone ?
L’opinion et les quatre dirigeants de l’ère démocratique, au Bénin, ont su préférer leur patrie au piège du troisième mandat. Battu, en 1996, après son premier mandat, Nicéphore Soglo a cédé le pouvoir à Mathieu Kérékou, qui n’a pas plus succombé à la tentation, en 2006, que Thomas Boni Yayi, en 2016.
Pour ce pays, qui passait jadis pour le champion continental des coups d’État, ce sursaut est salutaire. Cette constance a conforté la crédibilité du Bénin et facilité les remarquables progrès économiques relevés ces dix dernières années. Avec un peu de sérieux et de rigueur, la stabilité démocratique finit toujours par favoriser le développement économique.
La fulgurante ascension de Romuald Wadagni inconnu au Bénin il y a dix ans
Peu après son élection, Patrice Talon en avait agacé plus d’un, en déclarant que son pays manquait de cadres compétents. Dans l’absolu, il n’avait pas tort. Et il a dû embaucher, déployer des moyens, pour attirer les compétences, notamment de la diaspora. Il a su détecter, former, motiver et promouvoir, sans ostracisme, y compris dans des secteurs de pointe. Y compris pour prendre le gouvernail de la nation. Et ce dauphin, rallié seulement six mois avant son élection, est un pur produit de la boulimie de compétences de ce président-capitaine d’industrie.
Le choix de Romuald Wadagni devrait faire réfléchir tous ceux qui, à Yaoundé, ne cessent de clamer que seul leur champion de 92 ans a l’envergure pour diriger le Cameroun. Cela vaut aussi matière à réflexion pour ceux qui, jusqu’à ces dernières semaines, suppliaient Alassane Ouattara de rempiler pour un quatrième mandat, parce que nul d’autre que lui ne pouvait bien diriger la Côte d’Ivoire. De telles obséquiosités peuvent certes les conforter dans les bonnes grâces d’un chef d’État. Mais, l’apologie de la présidence à vie finit toujours par jeter le discrédit sur la compétence même d'un entourage présidentiel.
Si Patrice Talon a pu, en moins de dix ans, détecter et promouvoir des éléments capables de lui succéder, pourquoi donc, après 15 années aux côtés d’Alassane Ouattara, ou 43 dans l’ombre de Paul Biya, les maîtres de la flagornerie s’avouent-ils inaptes à prendre la relève ? Même du temps de la présidence à vie, certains dirigeants visionnaires savaient passer le relais : Senghor, Ahidjo, Nyerere… et Mandela lui-même, à qui l’ANC et l’Afrique du Sud auraient péniblement survécu, s’il avait attendu de mourir au pouvoir.
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