Là où les politiques se servent des leviers du pouvoir pour affamer leurs adversaires et même la presse, la démocratie n'a aucun avenir. Cela est valable pour le Sénégal, comme pour tous les autres pays du continent.

Privés de la manne publicitaire des agences gouvernementales et sociétés d’État, nombre de médias du Sénégal risquent l’asphyxie. Ces contrats représentaient jusqu’à 70% des recettes de certains de ces organes, qui accusent le Pastef, au pouvoir, de vouloir leur mort. Exagèrent-ils ?
Avec une telle dépendance, ces médias survivraient difficilement à la suppression de tels budgets publicitaires. Depuis des mois déjà, ils dénonçaient des mesures de rétorsions. Lors d’un meeting, en juillet dernier, le Premier ministre Ousmane Sonko s’en est pris, nommément, au Groupe Futurs Médias, de Youssou N’Dour, en se promettant de le combattre jusqu’au bout. Certes, sous Macky Sall, le Pastef avait connu brimades et persécutions, et certains médias ont pu se ranger du côté du pouvoir pour les accabler. Mais, les nouveaux maîtres du Sénégal auraient pu, dans la victoire, se montrer grands seigneurs, en pardonnant ou, au moins, en feignant l’oubli. Dans un environnement aussi paupérisé, certains journalistes réputés solides auraient probablement retourné leur boubou, et ç’aurait été, pour ces jeunes dirigeants, une victoire bien plus élégante que des représailles de masse, qui emporteront fatalement quelques médias crédibles, parmi les meilleurs du Sénégal. Asservir la presse avec des contrats émanant d’entreprises appartenant à tous est-il si différent de l’usage partisan du bien public que Ousmane Sonko reprochait à Macky Sall ?
Nul ne peut prévoir les dérives de l'insuffisance de recettes publicitaires : au début du siècle dernier, la presse française, en contrepartie d’une énorme manne publicitaire, avait choisi de taire les faiblesses politiques et économiques de l'empire tsariste, pour favoriser les emprunts russes, au détriment des épargnants de la place de Paris. L’historien Pierre Albert conclura à une abominable vénalité de cette presse.
N'est-ce pas naturel qu’un pouvoir politique désire une presse avenante ?
À quel prix ? Depuis leur accession au pouvoir, quelque 400 médias ont vu leur autorisation de publication ou de diffusion remise en cause, pendant que surgit une génération spontanée d’organes nouveaux, à la gloire du Pastef. Au Sénégal, cela porte un nom : le clientélisme ! Florissant, de Senghor à Sall, en passant par Diouf, Wade... Et si le duo Faye-Sonko le perpétue, la démocratie sénégalaise continuera à ne pouvoir séduire qu’à l’occasion des alternances.
La vocation d’une presse crédible n’est pas de servir les régimes qui passent, mais l’intérêt général, la nation. Cette évidence, les dirigeants d’envergure savent l’admettre. Tel le général de Gaulle, qui a voulu, en 1944, un journal de référence, en France, pour en finir avec les titres complices de l’avilissement de la nation. Conscient du tort qu’une presse sans scrupules peut causer à un peuple, il a confié à Hubert Beuve-Méry, journaliste compétent et crédible, la charge et les moyens de créer un grand quotidien de salubrité publique. Durant toutes les années passées par le général au pouvoir, Le Monde l’a constamment critiqué. De Gaulle s’en agaçait, mais supportait, parce que ce journal, il l’avait voulu pour le bien du pays, et pas pour lui. Tout le monde n’est évidemment pas de Gaulle. Mais tout bon leader devrait comprendre l’utilité d’une presse sérieuse pour la grandeur d’une nation. Les médias médiocres ou complaisants ne séduisent que les dirigeants de peu d’envergure…
Encore faut-il que les journalistes eux-mêmes veillent sur leur crédibilité…
À eux de se prémunir contre les politiciens rétifs à la critique, en faisant le ménage dans leurs rangs. Plus de 400 organes rayés de la liste, au Sénégal, et les effectifs demeurent effrayants ! Chaque mosquée doit-elle avoir son journal, chaque minaret sa radio, sa télévision ? Là où les journalistes ne prennent pas les devants pour assainir leur corporation, les politiques finissent par leur imposer d’inquiétants agendas.
Aussi loin que l’on remonte dans l’histoire, le politique, sous toutes les latitudes, a toujours usé de leviers financiers pour dompter les journalistes, asphyxier financièrement les journaux récalcitrants. C’est en réaction au cautionnement que le théologien français Lamenais, en août 1848, lança dans l’ultime numéro de son journal, « Le Peuple constituant », ce cri mémorable : « Il faut de l'or, beaucoup d'or pour jouir du droit de parler. Nous ne sommes pas riches. Silence aux pauvres ! ».
NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail
Je m'abonne