Merci ! Après dix-huit ans de présence sur cette antenne, cet édito est le dernier que vous proposez aux auditeurs de RFI. Alors, on va changer les habitudes. Plutôt que de vous poser la première question, je vous laisse ouvrir le bal…

Dans la nuit du 26 au 27 octobre, ministres et dignitaires du régime se succèdent au Palais présidentiel, dans un incessant ballet de rutilantes berlines et de luxueux 4×4. Sur le visage des personnalités qui défilent se lit une certaine gravité, de la consternation, de l’inquiétude. On devine même, ici et là, une réelle angoisse. La capitale bruisse de folles rumeurs. La télévision nationale a positionné dans la cour du Palais son car-régie réservé aux grands événements. On attend une importante annonce présidentielle. Trois jours plus tôt, la proclamation annoncée des résultats avait été subitement reportée, à la demande, paraît-il, du chef de l’État, qui aurait exigé de son état-major la vérité des chiffres.
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À l’heure du journal télévisé du soir, un bandeau annonce aux téléspectateurs « un important événement ». 21 heures 20, le générique du JT démarre, répétitif, trois fois plus long que d’habitude. C’est alors qu’apparaît, pimpante et impassible, la présentatrice vedette.
Et que dit-elle donc ?
« Mesdames et messieurs, bonsoir. Un message solennel du président de la République ». Le drapeau au-dessus du Palais flotte au vent tout au long des soixante-huit secondes que dure l’hymne national. Debout derrière un pupitre, le visage à la fois grave et détendu, le chef de l’Etat démarre posément :
« Chers concitoyens, vous avez voté le 12 octobre dans le calme et la sérénité, et je vous en félicite. Au regard des résultats de ce scrutin, j’ai le plaisir et l’honneur historique de vous annoncer que vous avez choisi pour conduire la destinée de notre chère patrie… ». La plupart croient alors rêver en entendant le président prononcer le nom de son ancien ministre et challenger, qu’il félicite avant de lui souhaiter plein succès dans la conduite de la nation. Alors qu’il invite le peuple à s’unir derrière l’heureux élu, on entend, dans le lointain, des clameurs, portées en écho par les sept collines qui enserrent la capitale. Les foules se déversent presque aussitôt dans les rues. Dans toutes les villes du pays, c’est la même liesse débordante. Comme les soirs de grande victoire de l’équipe nationale de football…
Rassurez-nous ! C’est bien de la fiction, l’événement que vous évoquez là, n’est-ce pas ? Et cette équipe nationale, ne serait-ce pas Les Lions Indomptables ?
Quelle perspicacité ! Pour le pire, l’Afrique est désespérément prévisible. Mais elle peut aussi surprendre, pour le meilleur. Il nous est souvent arrivé de dire ici que l’Afrique est le continent du pire et du meilleur. Le pire est toujours régulier, ponctuel. Quant au meilleur, il surgit à l’improviste, au moment où on l’attend le moins. Sur les faits que nous relatons, les Camerounais seront fixés dans les quarante-huit heures, et nous avec. Si c’est un rêve, il est assumé. Et si la réalité venait à nous contredire, nos certitudes d’espérance vaudront circonstance atténuante. Car, même lorsque sombre toute joie, nous avons le devoir de continuer à croire en ce continent. L’argent, la ruse et l’imposture n’auront pas le dernier mot !
Il suffit de si peu, pour que le Cameroun renoue avec une dynamique positive. Paul Biya a beaucoup à se faire pardonner. Ce sera fait, s’il parvenait à s’extirper du guet-apens tendu par son propre entourage. Peut-être même retrouverait-il alors un peu de cette popularité immense qui a marqué son arrivée au pouvoir, il y a plus de quatre décennies.
C’est, ici, le moment de dire merci aux auditeurs. Pour leur écoute vigilante. Pour leurs critiques, leur bienveillance. Je viens de vous, je vais vers vous. D’une manière ou d’une autre, nous nous retrouverons, pour continuer à penser cette Afrique qu’aucun de nous ne peut, seul, porter sur ses épaules.
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