Chronique de Jean-Baptiste Placca

Du bon usage électoral

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Tous les chefs d'État ne se valent pas, en Afrique. Les conditions de son élection et les moyens dont chacun use pour accéder à la magistrature suprême déterminent la perception que son peuple (et l'opinion continentale) a de sa personne. Et ce peut être important pour « sa » gestion des affaires…

Jean-Baptiste Placca, éditorialiste à RFI, en 2020.
Jean-Baptiste Placca, éditorialiste à RFI, en 2020. © RFI/Pierre René-Worms
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Cameroun, Côte d’Ivoire, Tanzanie… Sur le continent africain, trois présidentielles se tiennent en ce mois d’octobre, en plus de toutes celles déjà organisées cette année, et des autres, prévues d’ici à fin décembre. Pourquoi l’élection présidentielle, pourtant ancrée dans les traditions, continue-t-elle de générer autant de tensions en Afrique ?

Dans bien des pays, le pouvoir est concentré entre les mains du seul chef de l’État. Qui peut faire la fortune de qui lui plaît ; causer la ruine de qui il veut ; et même entraver la liberté de qui le gêne. D’où le sentiment qu’à la présidentielle se joue le sort personnel de chaque citoyen pour la durée du mandat. La manière dont se conquiert la magistrature suprême est loin d’être anodine. Dans les nations crédibles, les scrutins libres et transparents sont l’unique mode d’accession au pouvoir. L’Afrique, elle, se distingue encore souvent de manière peu glorieuse, avec les coups d’État, les réélections douteuses, qui jettent le discrédit sur la fonction présidentielle.

Ce continent revêt des réalités multiples. Mais, par facilité, certains usent de formules expéditives pour qualifier l'Afrique, en se référant, en plus, aux tares des États les moins présentables. Ainsi, les mauvaises manières de quelques-uns en viennent à définir l’image de tous. Et ce n’est pas sans conséquences : l’an dernier, le président William Ruto, s’étonnant de voir augmenter les taux appliqués aux emprunts de son pays, le Kenya, découvrait, abasourdi, que les agences de notation avaient intégré au risque-Kenya le coup d’État survenu au Niger.

Ignoraient-ils que 5642 kilomètres séparent ces deux pays ?

Ramener l’ensemble du continent au niveau des cancres relève de la paresse intellectuelle. L’Afrique compte de véritables États démocratiques, performants sur le plan économique, qui ont peu à envier aux autres. La médiocrité n’est pas une fatalité, en Afrique. Mais, pour éviter ces amalgames, les Africains eux-mêmes devraient savoir être, dans la quête de l’excellence, ambassadeurs, les uns pour les autres.

Il y a une trentaine d’années, le Sénégalais Kéba Mbaye, juge à la Cour internationale de justice de la Haye et vice-président du Comité international olympique avait initié l’harmonisation du droit des affaires en Afrique. Depuis, l’Ohada existe, qui rassure les milieux économiques et simplifie les échanges confiants entre États africains et avec l’extérieur. C’est du panafricanisme palpable, concret.

Puisque les élections douteuses nuisent, y compris aux économies, et bien au-delà des pays qui s’y complaisent, pourquoi ne pas harmoniser, avec la même rigueur, les pratiques électorales ? Sur ce continent, tous les chefs d’État ne se valent pas. Les moyens par lesquels certains se hissent au pouvoir ou s’y maintiennent sont d’une troublante disparité, sans légitimité, sans respectabilité. Et les peuples ne sont pas toujours très fiers de ceux qui sont censés les diriger.

Les élections ne relèvent-elles pas de la souveraineté des États ?

Étant donné que tous arborent le pavillon « Afrique », chacun devrait se sentir responsable pour les autres. Et cela commence par les comportements électoraux, qui ont une incidence sur vos voisins. Cap Vert, Botswana, Ghana, Nigeria, Bénin et d’autres pays africains ont des usages suffisamment crédibles pour inspirer l’ensemble du continent. Au Sénégal, depuis un quart de siècle, en période d’élection, les plus sérieuses stations de radio et chaînes de télévision agissent en acteurs civiques. Les résultats parcellaires que relaient au fur et à mesure ces médias situent le citoyen qui peut, deux heures après la clôture du vote, esquisser par lui-même les grandes tendances. C’est exactement ce que font les Américains. Et c’est plus honorable que de maintenir la population dans le brouillard, en attendant qu’un ministre servile ou une commission électorale aux ordres vienne, au cœur de la nuit, asséner des résultats manufacturés, sans aucune traçabilité. Pour mieux museler leurs concitoyens, certains régimes tricheurs vont jusqu’à couper les liaisons téléphoniques et internet.

Curieusement, ce sont ceux-là qui se revendiquent, urbi et orbi, comme État démocratique. Mais tout cela, sans la transparence, n’est juste qu'une imposture de plus.

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