Kemal Kiliçdaroğlu, le chef de l'opposition turque qui a choisi de désobéir
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En Turquie, le prix de l’énergie s’envole et devrait continuer de grimper jusqu’en avril. En janvier, l’inflation frôlait les 50%. Beaucoup de Turcs ne parviennent plus à payer leurs factures de gaz ou d’électricité. Une colère sociale que l’opposant Kemal Kiliçdaroğlu a décidé de relayer. Il a averti le président Erdogan que, par solidarité, il arrêtait de payer ses propres factures.

C’est un défi qu’a lancé Kemal Kiliçdaroğlu au président turc. À l’instar de nombreux Turcs, dans l’incapacité de faire face à la forte hausse du prix de l’énergie, le chef du parti d’opposition a affirmé qu’il ne paierait pas sa facture non plus.
Pour Jean-François Pérouse, enseignant-chercheur, ancien directeur de l'Institut français d'études anatoliennes basé à Istanbul, c’est une action qui s’inscrit dans une stratégie d’opposition systématique au pouvoir : « Il essaye de se saisir d’un certain nombre de difficultés de la population turque pour porter des coups au pouvoir. Être en phase avec un mécontentement. »
Une mesure symbolique de désobéissance civile que certains Turcs reprennent à leur compte sur les réseaux sociaux. Les hashtags #FaturamıÖdemiyorum et #SıraSende (« je ne paye pas ma facture » et « à ton tour ») sont repartagés sur Twitter.
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Un Gandhi turc ?
« Gandhi turc », c’est une comparaison qui revient régulièrement dans une partie de la presse du pays. Déjà parce que son physique rappelle celui du père de la nation indienne, moustache épaisse au bout de ses lunettes rondes. Mais son calme et ses actes de désobéissance civile le rapprochent aussi de Gandhi. En 2017, Kemal Kiliçdaroğlu avait déjà organisé la « marche pour la justice ». Malgré les menaces du gouvernement, il avait relié Ankara à Istanbul.
Pourtant, les spécialistes de la Turquie ne partagent pas toujours cette comparaison. Pour le politologue turc Ahmet Insel, « il n’appelle pas un mouvement de désobéissance civile, il fait des mouvements de défi personnel au pouvoir, ce n’est pas tout à fait comme Gandhi. » Mais ses actions lui font à chaque fois gagner un peu plus en popularité : en juillet 2017, des dizaines de milliers de personnes attendaient à Istanbul celui qui venait de parcourir 450 kilomètres.
Une stratégie qui détonne avec l’image qu’il donnait jusque-là. Arrivé à la tête du parti en profitant d’un scandale sexuel impliquant l’ancien dirigeant Deniz Baykal, il avait le profil d’un homme politique classique selon Samim Akgönül, directeur du département d’études turques de l’Université de Strasbourg : « C’était un bureaucrate. Il était à la tête de la sécurité sociale turque. »
Et dans l’opposition, il n’a jamais vraiment eu sa propre ligne politique : « On ne peut pas dire que c’est un idéologue. Il joue le rôle de fédérateur entre tous les partis d’opposition. Il essaye de faire le grand écart. Parfois avec un discours un peu populiste, mais ça, c’est le point commun entre l’ensemble des partis politiques turcs. » Une stratégie qui le fait grimper dans les sondages alors que les élections présidentielle et législatives sont prévues pour le printemps 2023.
Kemal Kiliçdaroğlu prépare les élections
Ces initiatives politiques sont en lien avec les élections de l’an prochain. Pour Ahmet Insel, arrêter de payer ses factures n’est pas anodin : « Kemal Kiliçdaroğlu est bien conscient que Recep Tayyip Erdoğan voudrait que l’opposition descende dans la rue. Des manifestations donneraient au pouvoir l’opportunité de faire passer l’opposition pour des irresponsables, voire des terroristes. L’opposition passerait alors pour celle qui va entrainer la Turquie dans le chaos. »
Une situation qui pourrait aussi pousser l’AKP au pouvoir depuis plus de vingt ans à avancer les élections à 2022, ce qui, pour Samim Akgönül, n’est pas dans les plans de Kemal Kiliçdaroğlu : « À mon avis, son but n’est pas de pas pousser aux élections anticipées, parce que plus le temps passe, plus on sent le pourrissement du pouvoir avec la mafia, la corruption, les pots-de-vin… » L’inflation accentue encore un peu plus ce sentiment.
Mais avant de penser aux élections, le président du CHP doit s’imposer, auprès de son parti, comme la meilleure option. Eux aussi très populaires, les maires d’Ankara et d’Istanbul pourraient également se lancer dans la course et faire de l’ombre au septuagénaire. Samim Akgönül reste également prudent sur la régularité des prochains scrutins : « Le gouvernement actuel est tellement dans un puits sans fond qu’il est capable de tout, comme une bête sauvage blessée, pour ne pas perdre les élections. »
Actuellement, dans les sondages pour la présidentielle, Kemal Kiliçdaroglu est à neuf points derrière Recep Tayyip Erdoğan, mais son parti est favori pour remporter les législatives. Avec les cinq autres partis d’opposition, le CHP espère décrocher 360 sièges sur les 600 pour modifier la Constitution et redonner du pouvoir au Parlement.
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