Kemal Kiliçdaroglu, le «Gandhi turc» face à Erdogan
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L’opposition turque a failli se déchirer au dernier moment, mais elle a finalement réussi à s’entendre sur un candidat unique pour affronter l’inamovible président turc, Recep Tayyip Erdogan, lors des élections qui auront lieu le 14 mai. Cet homme se nomme Kemal Kiliçdaroglu c’est le chef du Parti républicain du peuple (CHP), principale formation de l’opposition. Un profil discret, à l’opposé du caractère volcanique du président sortant.

Les traits sont tirés, mais ils expriment à la fois l’espoir et le soulagement. En cette soirée du 6 mars, le chef du CHP, le Parti républicain du peuple, est désigné candidat à l’élection présidentielle. Plus de dix ans après avoir pris la tête du vieux parti kemaliste, Kemal Kiliçdaroglu a réussi son pari : unir sous son nom l’ensemble de l’opposition turque, de la gauche à la droite nationaliste, pour tenter de faire chuter Recep Tayyip Erdogan, au pouvoir en Turquie depuis maintenant deux décennies. De fait, avec ses petites lunettes rondes et sa fine moustache, Kemal Kiliçdaroglu offre un contraste saisissant avec le président sortant et son caractère volcanique.
« Il est issu d'une famille populaire d'un village de montagne de la région de Dersim, dans l’est du pays, raconte le politologue turc Ahmet Incel. Recep Tayyip Erdogan se réclame tout le temps de ses origines populaires, mais celles de Kemal Kiliçdaroglu ne le sont pas moins. C'est le pur produit de l'élitisme républicain. Il a été dans la trajectoire des écoles publiques, pas celle des écoles coraniques comme Erdogan. »
Haut fonctionnaire, il gravit tous les échelons de la fonction publique pour diriger la tentaculaire Sécurité sociale turque – avant de devenir député au début des années 2000, puis de s’emparer de la tête du CHP en 2010. « Un autre élément crucial, c’est que sa famille représente la classe moyenne typique, ajoute Ahmet Incel. Sa femme a travaillé, ses enfants sont allés à l’université. Personne autour de lui n’est impliqué dans des affaires de construction ou de marchés publics. Et ça, c'est quelque chose qui est un atout, qu'il peut le servir beaucoup, en termes de crédibilité, d’alternative propre. »
L’antithèse d’Erdogan
Pour rallier les principales forces de l’opposition, Kemal Kiliçdaroglu a adopté un seul mot d’ordre : en finir avec la dérive autocratique de Recep Tayyip Erdogan. Le candidat se positionne comme l’antithèse parfaite du président sortant. Avec son programme – il veut rétablir les fondements de l’État de droit. Mais aussi avec son style, empreint de respect et de dialogue. « Depuis déjà fort longtemps, Kemal Kiliçdaroglu a utilisé un slogan qui ne nous est pas tout à fait étranger, à nous les Français, celui de la force tranquille », relève Didier Billion, directeur adjoint de l’Institut de relations internationales et stratégiques. « Contrairement aux foucades, à l'agressivité, au ton souvent belliqueux de Recep Tayyip Erdogan, il veut apparaître comme quelqu'un de calme. La société turque est dans une situation de polarisation qui a été voulue par Erdogan depuis très longtemps. Or, justement, Kemal Kiliçdaroglu apparaît comme un élément temporisateur. Il veut calmer le jeu. »
Peu féru de coups d’éclat, le champion de l’opposition turque s’est tout de même illustré par une « marche de la paix » remarquée en 2017 : reliant Anakara et Istanbul à pied pour dénoncer l’incarcération d’un député d’opposition, il hérite du surnom de « Gandhi turc » et d’une réputation de détermination et de fermeté qui l’ont imposé comme une figure incontournable en Turquie.
Manque de charisme et sens du dialogue
Au sein de l’opposition, certains lui reprochent son manque de charisme et des discours parfois un peu ternes, mais tous lui reconnaissent son sens du compromis – ce qui lui a permis d’ailleurs d’élargir la base nationaliste et ultra-laïque de son parti, le CHP. « On sait que le Parti républicain du peuple était un parti très laïciste, avec une vision très figée, très dogmatique de la laïcité, pointe Didier Billion. Or, de façon très graduelle, sans faire de vagues, il a réussi à modifier la conception de la laïcité au sein de son parti. Par exemple sur la question du port du voile : Kemal Kiliçdaroglu a proposé il y a quelques mois une loi pour garantir le droit de porter le foulard - ce qui était inimaginable au sein du CHP, il y a une vingtaine d'années. Il a réussi à faire évoluer la ligne de ce parti, ce qui lui a ensuite permis de parvenir à ce programme commun et à cette candidature commune de l’opposition. »
Autre atout pour Kemal Kiliçdaroglu : la décision du parti pro-kurde HDP de ne pas présenter de candidat lors de la présidentielle du 14 mai. L’électorat kurde, qui pèse près de 15% des voix, pourrait jouer un rôle crucial lors du scrutin – et peser lourdement en faveur du candidat de l’opposition.
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