Laura Kövesi, la «dame de fer» de la lutte anti-fraude
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Rétablir le contrôle dans les ports européens et restaurer l’autorité fiscale de l’UE : c’est l’ambition de Laura Kövesi, la cheffe du Parquet européen (EPPO). Nommée en 2021, la magistrate de 51 ans est réputée et saluée pour son sérieux et son opiniâtreté. Mais elle se heurte, de son propre aveu, à l’inertie des pays européens.

C’est une conférence de presse qui a marqué les esprits en Grèce comme dans les autres pays de l’Union européenne. D’ordinaire discrète, et avare en interviews, Laura Kövesi a choisi le port grec du Pirée pour tirer le signal d’alarme et dénoncer les « organisations criminelles » qui pratiquent la fraude douanière à un niveau industriel.
« Dans toute l’Europe, des sommes considérables de droits de douane et de taxe ne sont pas payées comme elles le devraient, martèle la procureure en chef du Parquet européen, après l’annonce de la plus grande saisie de conteneurs jamais effectuée par l’UE – pour une valeur d’au moins 250 millions d’euros. « Ces fraudes ne sont pas dues à de petits contrebandiers, mais à des groupes criminels organisés soutenus par la corruption de fonctionnaires des douanes et des impôts, et d’employés de banque. Mais nous voulons envoyer un message fort aux criminels à l'origine de cette fraude massive : les règles du jeu ont changé, vous n'avez plus aucun refuge ! »
Une mise en garde qui s’adresse autant aux criminels qu’aux dirigeants de l’Union européenne – accusés de ne pas toujours mesurer l’ampleur des fraudes commises dans les ports européens. Au-delà de l’opération « Calypso » qui a abouti à l’arrestation de six personnes, dont deux agents des douanes, la procureure en chef du Parquet européen annonce que les investigations seront menées dans d’autres ports européens – citant ceux de Marseille en France, de Gdansk en Belgique ou de Constanta en Roumanie.
« L’incorruptible des Carpates »
Cheveux noirs coupés au carré, stature imposante (plus d’1 mètre 80), Laura Kövesi a fait du basket à un niveau quasi professionnel – elle a même été vice-championne d’Europe dans sa jeunesse. Mais elle choisit de faire des études de droit et sa carrière de magistrate sera fulgurante. En 2006, elle devient, à 33 ans, la plus jeune procureure générale de Roumanie et la première femme nommée à ce poste.
« Il fallait à l’époque renouveler le domaine judiciaire, qui était marqué par une corruption endémique, mais aussi par un âge très élevé des procureurs, souligne Sergiu Miscoiu, professeur de sciences politiques à l’Université de Cluj en Roumanie. Et à la différence d'une grande partie de ses confrères, elle a opté pour le métier de procureur, alors que tout le monde voulait devenir avocat. Et ceci lui a permis, par sa compétence et par son abnégation, d'avoir une carrière rapide. »
En 2013, elle est nommée à la tête de la Direction nationale anticorruption et part en croisade contre la classe politique roumaine… avec des résultats spectaculaires. « Elle a fait condamner un ancien Premier ministre, d’autres ministres et parlementaires qui ont été jugés pour la première fois de l’histoire de la Roumanie. Elle a été accusée d’être instrumentalisée à des fins politiques, mais finalement, les Roumains ont célébré le fait qu’après vingt années de quasi-impunité, personne ne se trouvait à l’abri de la justice : ni les sénateurs, ni les députés, ni les ministres. »
Déni de réalité
Un style et une méthode que Laura Kövesi tente d’appliquer au niveau européen. À sa nomination en 2021, elle part de zéro puisque le Bureau du parquet général européen vient tout juste d’être créé par 24 des 27 pays de l’UE (le Danemark, l’Irlande et la Hongrie ont refusé d’en faire partie). Il a fallu recruter des équipes et des procureurs dans chaque pays. Mais le résultat est là : plus de 2 000 enquêtes ouvertes en 2024 pour un préjudice estimé à plus de 20 milliards d’euros.
Des résultats salués par l’eurodéputée belge Saskia Bricmont, membre écologiste de la Commission justice et libertés civiles du Parlement européen. « Que ce soit devant nous, au Parlement européen, que ce soit via la presse, et elle l'a encore montré ces derniers jours, que ce soit dans son travail, elle n'y va pas par quatre chemins, elle n'utilise pas la langue de bois et elle dit les choses comme elles sont. La rigueur de son travail montre des résultats, puisque ce sont des dizaines de milliards d'euros qui sont derrière le travail effectué par le parquet européen. »
Une efficacité qui dérange ? Dans certains pays, Laura Kövesi se heurte aux réticences et parfois à la mauvaise volonté des autorités. Le gouvernement grec lui a ainsi demandé de « s’en tenir à ses compétences » alors qu’elle enquêtait sur plusieurs affaires de corruption touchant aux subventions européennes.
La cheffe du parquet européen dénonce également le déni de réalité des dirigeants européens et des institutions face à la corruption et à la criminalité organisée qui gangrène la fiscalité et les douanes européennes. Avec, à la clé, d’immenses manques à gagner pour les finances publiques de l’UE et des pays concernés. « Les États membres ne mettent pas en œuvre les moyens judiciaires et policiers suffisants pour lutter contre cette fraude et récupérer l’argent qui manque aujourd’hui cruellement aux finances publiques, abonde Saskia Bricmont. Il y a clairement un manque de volonté politique de s'attaquer clairement à la fraude de la TVA et d’autres problématiques, comme la criminalité environnementale. »
Confrontée à des enquêtes tentaculaires et à des moyens réduits, Laura Kövesi demande et espère davantage de fonds, d’enquêteurs et de procureurs dans chaque pays. Surtout si son champ d’action s’agrandit comme le souhaitent certains pays membres de l’UE – à l’image de la France et de l'Allemagne qui appellent à confier au Parquet européen les enquêtes pour violations des sanctions contre la Russie.
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