Brusque regain de tension entre la Serbie et le Kosovo, après l’arrestation cette semaine par la Serbie de trois policiers kosovars. À l’origine de cette nouvelle crispation entre Belgrade et Pristina, la décision du Premier ministre kosovar, Albin Kurti, d’introniser quatre maires albanais dans des villes à majorité serbe. Une décision très critiquée par la Serbie, mais aussi par les partenaires occidentaux du Kosovo. Ancien leader étudiant devenu Premier ministre en 2021, Albin Kurti est désormais sous la pression de l’Union européenne et des États-Unis qui lui reprochent d’attiser les tensions avec Belgrade.

C’est du jamais-vu depuis l’indépendance du Kosovo en 2008 : les pays occidentaux ne cachent plus leur agacement à l’encontre de son Premier ministre, l’inflexible Albin Kurti. Au point que désormais Washington et Bruxelles agitent la menace de sanctions. Une perspective périlleuse pour le Kosovo, qui ne peut s’affranchir du soutien occidental. « Il faut se rappeler que l’indépendance du Kosovo s’est fait grâce aussi aux pays occidentaux », pointe Teuta Vodo, ancienne ministre adjointe de la Justice d’Albanie et enseignante à Sciences-Po Paris. « Il faut toujours se rappeler que les alliés historiques du Kosovo, c’est surtout les États-Unis – et que ce soutien ne doit pas être pris pour un acquis. Il y a toujours un risque que le Kosovo puisse perdre ça. »
Un jeu dangereux pour le Kosovo, et pour son Premier ministre. Âgé de 48 ans, Albin Kurti est le premier dirigeant de son pays à ne pas être issu des rangs de l’UCK, l’Armée de libération du Kosovo. Ce qui ne l’empêche pas d’être un fervent nationaliste, comme le rappelle Florent Marciacq, co-directeur de l’Observatoire des Balkans au sein de la Fondation Jean-Jaurès. « Albin Kurti était un leader étudiant, il a dirigé le mouvement de protestation opposé au régime de Milosevic et il a connu les geôles yougoslaves. Et puis, par la suite, il s’est révélé assez critique de l’administration internationale. C’est un dirigeant qui s’est beaucoup engagé dans la lutte contre la corruption et les réformes administratives, et qui n’appartient pas aux cercles de vétérans traditionnels. »
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Rétablir la souveraineté entière sur le nord du Kosovo
Fervent nationaliste, Albin Kurti refuse la création d’une Association de communes serbes dans le nord du pays, une mesure qui se trouve pourtant au cœur de l’accord négocié avec la Serbie, sous l’égide de l’Union européenne. Aux yeux du dirigeant kosovar, cette mesure ouvrirait la voie à une autonomie dangereuse pour son pays, à l’image de la Republika Srpska, en Bosnie-Herzégovine. « Le risque, selon Albin Kurti, c’est de se voir former une seconde Bosnie », décrypte Teuta Vodo, « avec un territoire où les autorités centrales de Pristina ne seraient pas en mesure d’exercer leur pouvoir. Il a répété qu’il veut être le Premier ministre de tout le Kosovo, et de tous les citoyens kosovars, y compris les minorités. Il considère donc comme dangereuses les propositions occidentales. »
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Le but d’Albin Kurti est de rétablir une souveraineté entière sur le nord du pays et de lutter contre la contrebande et le crime organisé qu’il accuse la Serbie d’instrumentaliser. Critiqué par les pays occidentaux pour son intransigeance, le dirigeant kosovar affirme pour sa part que c’est Belgrade qui attise les tensions dans la région. Autre argument de l’ancien leader étudiant, relevé par Florent Marciaq : le double jeu de la Serbie dans le contexte de la guerre en Ukraine. « D’une certaine façon, Albin Kurti met les Occidentaux au pied du mur. En leur demandant s’ils préfèrent un Kosovo qui soutient l’Otan, l’UE et l’Ukraine contre la Russie, ou un régime serbe qui dérive autocratiquement et qui soutient de façon plus passive la Russie. »
Face à la Serbie, Albin Kurti parie sur une stratégie de la tension et du fait accompli. À condition de ne pas aller jusqu’à la rupture avec ses partenaires européens et américains. Des sanctions de Bruxelles ou de Washington susciteraient une crise politique majeure à Pristina – où plusieurs partis d’opposition brandissent déjà la menace d’une motion de censure.
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