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Simon Harris, le jeune ministre «tiktokeur» va diriger l’Irlande

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À 37 ans, Simon Harris s’apprête à devenir le plus jeune chef du gouvernement de l’histoire de l’Irlande. Après la démission surprise de Leo Varadkar, l’actuel ministre de l’Enseignement supérieur a été élu dimanche 24 mars à la tête du Fine Gael. Fin communicant et adepte des réseaux sociaux, il était le seul candidat en lice.

L'Irlande est sur le point d’avoir le plus jeune Premier ministre en la personne de Simon Harris qui a été désigné à la tête du Fine Gael remplaçant Leo Varadkar après sa démission surprise. (Photo : le 24 mars à Athlone en Irlande)
L'Irlande est sur le point d’avoir le plus jeune Premier ministre en la personne de Simon Harris qui a été désigné à la tête du Fine Gael remplaçant Leo Varadkar après sa démission surprise. (Photo : le 24 mars à Athlone en Irlande) AP - Eamon Ward
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Ses détracteurs l’ont déjà surnommé « TikTok Taoiseach ». Le prochain chef du gouvernement irlandais, - Taoiseach en gaélique, jouit d’une forte popularité sur les réseaux sociaux. Sur TikTok, le trentenaire dynamique aux cheveux poivre et sel compte 95 000 abonnés et près de deux millions de « j’aime ». À peine désigné à la tête du Fine Gael, Simon Harris s’est tout naturellement adressé à ses fans sur son réseau social de prédilection : « Je veux que vous sachiez que si j'ai l'honneur de servir, je vais travailler jour et nuit pour agir pour ce pays et faire tout ce que je peux pour m'assurer que la politique réponde aux attentes des gens. Je sais que la politique peut faire la différence ».

Décrit comme dynamique, intelligent, bon orateur, bien organisé et doté d’un certain sens de l’humour, Simon Harris a été, dès son jeune âge « totalement fasciné par l'art de la politique, intéressé par ce que la politique pouvait apporter aux gens », raconte son amie, l’eurodéputée et ancienne ministre de la Justice Frances Fitzgerald, son mentor. En 2007, cheffe de l’opposition au Sénat, celle qui, par la suite, a occupé plusieurs postes ministériels dont celui de la Justice, recrute le jeune Simon Harris comme assistant. Il n’a alors que 20 ans et étudie le journalisme et le français à l’université.

Deux ans plus tard, il est élu local de Wicklow. Il a déjà derrière lui huit années de militantisme au sein du Fine Gael, le parti de centre-droit auquel il a adhéré dans l’optique d’améliorer le sort des personnes atteintes d’autisme, son frère souffrant du syndrome d’Asperger. « Il est politicien à plein temps depuis ses 20 ans. De nombreuses personnes s'inquiètent du fait qu'il n'ait aucune autre expérience en dehors de la politique », souligne Gary Murphy, professeur de sciences politiques et chroniqueur de l'édition irlandaise du Sunday Times.

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« Il a réussi à atteindre le sommet à une vitesse incroyable »

Ambitieux, « il a réussi à atteindre le sommet à une vitesse incroyable », relève Eoin O’Malley, maître de conférences en sciences politiques à la School of Law and Government à Dublin. Dix-sept ans se sont écoulés entre son premier emploi d’assistant parlementaire et le poste de Premier ministre. « Politiquement parlant, c’est court », reconnait Frances Fitzgerald, qui voit dans son succès la combinaison de plusieurs facteurs : « une énorme motivation à devenir conseiller, puis membre du Parlement, puis ministre, un travail acharné et un très bon réseau ».

Député à seulement 24 ans, secrétaire d’État aux Finances à 27 ans, Simon Harris est ministre de la Santé lors de l’épidémie de Covid-19. Il apparait alors quasi quotidiennement à la télévision, gagnant en visibilité. Mais il est aussi critiqué pour le nombre de décès dans les maisons de retraite et enchaîne gaffes et scandales. Il est accusé d’avoir fait des promesses en l’air pour le traitement de la scoliose et d’avoir mal géré le scandale des tests de dépistage du cancer du col de l’utérus, qui a contribué à la mort de plusieurs femmes. Il a aussi affirmé, par erreur, que le Covid-19 était appelé ainsi parce qu’il y avait eu « 18 autres Coronavirus », alors que le chiffre fait référence à 2019, l'année où il a été découvert.

Les groupes pro-vie lui reprochent son manque de consistance. « Lorsqu’il a fait campagne pour son premier mandat au Parlement, il était un conservateur pro-vie. Lorsqu’il est devenu ministre de la Santé, il a présenté la loi qui abrogeait les amendements qui interdisaient l'avortement en Irlande », note Eoin O’Malley. « Est-il conservateur ou libéral ? », s’interroge le politologue. « Il donne le sentiment qu’il est prêt à défendre l’idée qui lui rapportera le plus de « j’aime » sur Twitter ou Tiktok ».

En moins de deux décennies de carrière politique, Simon Harris a déjà eu à gérer quatre ministères. Mais ses détracteurs lui reprochent de ne pas avoir de grandes réalisations politiques à son actif. « Il a connu une ascension fulgurante, mais il n'a pas vraiment laissé de traces dans le domaine de la santé ou de l'enseignement supérieur », estime Gary Murphy. « Certains de ses critiques disent que ce qui caractérise son passage au ministère de la Santé c'est surtout l'inaction, mais il s’agit, malgré tout, d’un grand ministère avec une grosse visibilité », tempère Agnès Maillot, maître de Conférences à Dublin City University, voyant dans le fait qu’il se soit vu confier, très jeune, l’un des plus gros portefeuilles du gouvernement irlandais, un « gage de confiance ».

Candidat unique

Après quatre ans au ministère de la Santé, Simon Harris hérite du portefeuille de l’Enseignement supérieur, un poste moins exigeant, qui lui a permis de nouer des relations bien utiles. « Il a eu une charge de travail ministérielle assez légère, ce qu’il a mis à profit pour voyager à travers le pays, visiter des bureaux locaux du Fine Gael pour s’y faire des amis », raconte Eoin O’Malley. Lorsque le Premier ministre Leo Varadkar a pris tout le monde de cours en annonçant sa démission surprise, Simon Harris était le premier sur le pont.

De fait, il a été le seul candidat à la succession du chef du gouvernement. « Il avait déjà prévu ce qu’il allait faire. Les autres ont été plus lents à réagir et c’est pour ça qu’il avait quasiment gagné avant même que la course à la succession du Premier ministre n’ait vraiment débuté », poursuit le politologue. « J’ai le sentiment qu’il a passé beaucoup de temps à se préparer à cette élection du dirigeant du Fine Gael, mais si, je pense qu'elle est arrivée bien plus tôt qu'il ne le pensait », affirme pour sa part Gary Murphy. « Il était fin prêt », assure son amie Frances Fitzgerald. « Il a parcouru tout le pays, a rencontré tout le monde dans le parti et a tissé des liens encore et encore. Il était donc prêt comme personne d’autre », affirme l’eurodéputée PPE.

Simon Harris s’apprête à prendre les rênes d’un pays confronté à l’inflation et aux crises du logement et des sans-abri. Les priorités du gouvernement en place, la sécurité et le lutte contre l’immigration, ne devraient pas être modifiées. Dans son premier discours, dans lequel il a rendu hommage à son prédécesseur, Simon Harris a réitéré la position pro-européenne de son parti et son soutien à l'Ukraine. Il a aussi appelé à un cessez-le-feu immédiat dans la bande de Gaza.

Des racines modestes

Sera-t-il un « Leo Varadkar 2.0 » comme le soutiennent ses détracteurs ? Pour le politologue Gary Murphy, il y a quand même une différence de taille entre les deux hommes : « il a des racines très modestes alors que Leo Varadkar appartient à la classe moyenne, il est fils de médecin et diplômé du prestigieux Trinity College ».

Père de deux enfants, marié à une infirmière en cardiologie, Simon Harris est fils de chauffeur de taxi. « Du fait de ses origines modestes, il ne sera donc pas une cible aussi facile pour le Sinn Fein que Leo Varadkar, qui se voyait reprocher de ne pas comprendre les gens ordinaires ». Le parti de gauche, qui a déjà remporté des élections historiques en Irlande du Nord l'an dernier, a le vent en poupe.

Crédité de 28% des intentions de votes dans les sondages, le Sinn Féin pourrait faire chuter le Fine Gael qui a pu rester au pouvoir grâce à une coalition avec le Fianna Fail et les Verts. Le dynamisme et la jeunesse de Simon Harris suffiront-ils à redonner de la vigueur à la droite irlandaise, à dix semaines des élections européennes et municipales et à un an des législatives ? « Il prend un grand risque parce qu'il est jeune et qu’il a une carrière politique plutôt devant lui que derrière lui. Il prend le risque d'être associé au déclin de son propre parti aux prochaines élections », prévient Agnès Maillot, à moins qu’il n’envisage son rôle comme un « défi à relever en faisant en sorte de redresser la barre dans l’année qui reste à ce gouvernement de coalition ».

Le trentenaire devrait être désigné Premier ministre par le Parlement irlandais le 9 avril. « Il succède à Leo Varadkar dans une période très difficile. Il prend un risque », souligne Frances Fitzgerald. « Ne nous y trompons pas, cela n'aura rien d'une promenade de santé ».

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