Grand reportage

En Corée, la frontière devenue verte

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Depuis le 27 juillet 1953 et l’armistice de Panmunjeom, les deux Corées sont séparées par une frontière unique : la bien mal nommée « zone démilitarisée » (DMZ). Cette bande de terre, longue de 250 kilomètres et large de quatre, est truffée de mines de barbelés et scrutée de près par des centaines de milliers de soldats. Mais l’absence humaine a été comblée par un développement rapide de la faune et de la flore, transformant l’ancien champ de bataille en un mur vert.

Kim Seung-ho photographie d’anciennes installations militaires dans la zone de contrôle civile proche de Paju (Corée du Sud).
Kim Seung-ho photographie d’anciennes installations militaires dans la zone de contrôle civile proche de Paju (Corée du Sud). © Nicolas Rocca
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De notre correspondant à Séoul,

À quelques kilomètres de la Corée du Nord, dans la ville de Paju, des éclats de rires viennent rompre le calme d’un quartier paisible. Tous les vendredis, l’équipe du DMZ Ecology Research institutese réunit pour mener des études sur la biodiversité à la frontière intercoréenne. « Aujourd’hui, une partie de l'enquête va se concentrer sur les zones humides proches des rizières, un lieu que nous n’avons pas encore étudié »explique Kim Seung-ho, le directeur de l’ONG.

Voilà plus de dix ans que des bénévoles se rendent au-delà de la ligne de contrôle civile -sorte de zone tampon entre les barbelés de la frontière à proprement parler, où l’accès est contrôlé par l’armée. Impossible de rentrer dans la DMZ en tant que tel. Seules quelques patrouilles s’aventurent du côté sud de la ligne de démarcation et difficile de savoir ce qui se passe au Nord.

Selon l’Institut national de l’écologie, plus de 6 000 espèces de plantes et d’animaux profitent de cette zone, privée d’interférences humaines. Surtout, « la DMZ est devenue un refuge pour 37% des espèces en voie d’extinction de Corée », explique Park Seo-yong, directrice de la politique de la nature et de l’écologie au sein du ministère de l’Environnement. « C’est un trésor de biodiversité dans un territoire limité, car cela représente seulement 1.56% de la Corée du Sud »[0.45% de la péninsule, NDLR]. Au-delà de l’absence humaine, les rivières, les montagnes et les zones humides de la DMZ offrent une diversité permettant à la nature de se développer dans des conditions optimales le long du 38e parallèle.

Une fois les contrôles effectués au check-point, le convoi est escorté par un officiel du ministère de la Défense. La camionnette de Mr Kim roule à vive allure sur des sentiers pendant quelques kilomètres avant de s’arrêter dans la zone de recherche. Parmi la dizaine de bénévoles, chacun joue un rôle bien établi. « Cette personne-là va analyser l’écosystème dans lequel vivent les papillons et elle va observer la végétation, car c’est sa spécialité. Une autre équipe va se concentrer sur le statut de reproduction des oiseaux, des oiseaux d’été et l’habitat des oiseaux migrateurs », détaille Kim Seung-ho.

Les grues à couronne rouge, par exemple, survolent la péninsule l’hiver et se reposent parfois entre les Corées. Pour le directeur de l'Institut, l'objectif du jour est de vérifier que leur habitat naturel n’est pas endommagé par les agriculteurs autorisés à travailler dans la zone ou par les exercices militaires. 

Plus d’un million de mines 

« Mine danger ». L’inscription accompagnée d’une tête de mort sur des panneaux rouges longe les sentiers. Une vision qui, couplée au bruit des tirs de fusil, nous rappelle que cette balade bucolique se déroule à quelques centaines de mètres de la frontière la plus militarisée au monde.

« Là, des deux côtés de la route, il y a des mines. Bien sûr que l'on a envie de traverser et d’aller voir dans ces zones minées, car c’est une nature plus dense, encore mieux préservée, assure Mr Kim. Mais il faut respecter les règles quand on conduit une étude sur une zone militaire. » Si les estimations divergent, au moins un million de mines se trouvent dans la zone.

Parfois des animaux sautent dessus, se blessent, meurent ou provoquent des glissements de terrain. Mais d’après le directeur de l’ONG, la plupart d’entre eux « ont appris à vivre avec. Ils savent où il est possible de passer et quels chemins représentent un danger. »Parmi eux, l’ours noir asiatique détecté par des caméras dans la frontière en 2019, le Porte-musc de Sibérie, mais aussi les chèvres des montagnes, des reptiles et bien d’autres. 

Zone en danger

Mais cette réserve naturelle accidentelle perdure du fait d’un fragile statu quo, vestige de la guerre froide. « Le plus gros problème, c’est l’activité des armées dans la zone qui endommage durablement l’habitat des plantes comme des animaux, assure le Professeur An Jong-bin, chercheur au Jardin botanique de la DMZ. Le réchauffement climatique commence aussi à influencer négativement la biodiversité. Ce sont les deux principales menaces qui pèsent sur la DMZ. »

L’évolution des tensions entre les Corées affecte la faune et la flore qui y ont élu refuge. En 2018, en plein rapprochement intercoréen, des opérations de déminage communes avaient été menées. Une époque qui semble lointaine. Le retour des conservateurs au pouvoir en Corée du Sud et l’échec des négociations entre Donald Trump et Kim Jong-un a entraîné une hausse des exercices militaires au sud comme au nord de la frontière.

Paradoxalement, une réunification ou un rapprochement n'offrent pas non plus une assurance-vie aux animaux et aux plantes de la DMZ. Une autoroute, des centres commerciaux, des musées ou d'autres projets de développement économique entre les Corées pourraient prendre le pas sur la préservation de l’environnement.

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