L'art de raconter le monde

Le trait de Mansoureh Kamari donne corps à la liberté

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Dans son premier album de bande dessinée, Mansoureh Kamari raconte la chape de plomb que le régime iranien fait peser sur les femmes depuis leur plus tendre enfance. Et comment elle a pu en sortir grâce à son art. Beau et terrible à la fois.

Entre peur et colère, la jeune Mansoureh veut briser les chaînes de l’enfance et de l’adolescence, et passer de l’autre côté du miroir.
Entre peur et colère, la jeune Mansoureh veut briser les chaînes de l’enfance et de l’adolescence, et passer de l’autre côté du miroir. © Casterman
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L’infinie délicatesse du trait, et l’horreur du récit. C’est cet étrange alliage qui forge le premier album de bande dessinée de Mansoureh Kamari. Arrivée en France à 2011, cette passionnée de cinéma d’animation -par ailleurs diplômée en Iran de dessin industriel- a étudié à la prestigieuse école des Gobelins à Paris. Depuis 2015, elle travaille, en France et à l’étranger, comme dessinatrice de personnages pour les studios d’animation.

Ces lignes qui tracent mon corps, récit intime d’une enfant qui devient adolescente puis femme, fait apparaître avec acuité l’infinie violence que le joug masculin inflige quotidiennement aux Iraniennes, parce que ce sont des femmes. L’autrice rappelle qu’en Iran, selon la loi islamique, le père de famille est propriétaire du sang de ses enfants, et ne peut être pénalement poursuivi s’il s’en prend à sa progéniture. Le patriarcat exerce ainsi impunément sa férule, non seulement dans l’espace public, mais également dans la sphère privée : dans la bande dessinée, la figure du père du personnage principal, marque de sa violence bestiale de nombreuses planches de l’album.

Les interdictions sont légion : il ne faut ni rire, ni chanter, ni danser en public. On ne peut pas non plus s’habiller de manière décontractée et arpenter les rues librement. En revanche, on peut être mariée dès l’âge de 9 ans et exécutée à 15 ans après avoir été violée, en témoigne « un récit dans le récit ». L’autrice raconte en effet des agressions sexistes et sexuelles répétées, dans la rue, dans un taxi ou chez le médecin. De quoi instiller au quotidien un atroce sentiment de peur et d’impuissance à s’inventer un avenir moins sombre. À moins, comme l’a fait Mansoureh Kamari, de choisir l’exil, et de commencer une nouvelle vie loin de cette oppression permanente. Au dos de l’album, elle écrit ces mots : « après mon départ d’Iran, je ne pensais qu’à aller de l’avant et oublier la terreur permanente dans laquelle j’avais vécu. Même si les peurs du passé sont tenaces et révèlent des blessures profondes, je continue de dessiner et d’avancer ».

Le récit, écrit à la première personne, fait un va-et-vient entre le présent de la narratrice -à la fois artiste et modèle vivant et nu dans une école d’art parisienne- et son enfance et son adolescence à Téhéran. Comment cette jeune femme -qui a appris à cacher son corps jusqu’à en éprouver un malaise confinant à une sorte de honte- a-t-elle réussi à dépasser ses traumatismes pour exposer ainsi ses formes aux fusains de ces jeunes artistes ? Là est peut-être le miracle de la fibre artistique qui insuffle une nouvelle vie à l’héroïne.

Ces lignes qui tracent mon corps, Mansoureh Kamari (Casterman).

Sur la couverture de l’album, autour du visage du personnage, une inscription persane qui se traduit par « trainée ».
Sur la couverture de l’album, autour du visage du personnage, une inscription persane qui se traduit par « trainée ». © Casterman
En plus de son travail dans l’animation et la bande dessinée, Mansoureh Kamari enseigne l’infographie à l’Atelier de Sèvres, à Paris.
En plus de son travail dans l’animation et la bande dessinée, Mansoureh Kamari enseigne l’infographie à l’Atelier de Sèvres, à Paris. © DR

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