L'art de raconter le monde

«Des obus, des fesses et des prothèses», d’Arno Bertina, de corps et d’âme

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Le nouveau roman d’Arno Bertina « Des obus, des fesses et des prothèses » interroge notre rapport au corps mutilé et augmenté.

Photo prise le 17 décembre 2020 montrant des Libyens amputés dans une salle d'attente du Centre national pour les prothèses, à Misrata, dans le nord de la Libye.
Photo prise le 17 décembre 2020 montrant des Libyens amputés dans une salle d'attente du Centre national pour les prothèses, à Misrata, dans le nord de la Libye. AFP - MAHMUD TURKIA
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C’est un hôtel de bord de mer à Gammarth, au nord de Tunis, qu’Arno Bertina a choisi comme décor de son récit. Un palace qui, en 2012, a accueilli en même temps deux clientèles bien différentes : des femmes qui attendaient que s’atténuent les effets de leurs opérations de chirurgie esthétiques, et des soldats gravement blessés lors de la guerre en Libye voisine, une aile de l’hôtel ayant été réquisitionnée par le Croissant Rouge pour accueillir ces blessées de guerre.

Tout le ressort dramatique de ce roman au titre qui claque, Des obus, des fesses et des prothèses, réside dans cette improbable cohabitation entre ces corps augmentés par le botox et le silicone et ces corps cabossés, éclopés, mutilés, qui se croisent autour de la piscine ou dans les couloirs de l’hôtel de luxe. En confrontant les regards, les pensées et les mots de quatre personnages, l’auteur interroge ainsi notre rapport au corps et à la beauté.

Chacun des personnages devient tour à tour le narrateur de ce roman à quatre voix.

La première, Rafika, est une institutrice qui -pour gagner quelques sous supplémentaires, vient faire le ménage et aide parfois à refaire les pansements des blessés. Elle apparaît dégoûtée par ces hommes aux corps mutilés au sexe parfois en érection.

Le deuxième, c’est Madjed. Les soignants l’ont surnommé « Balle perdue ». Contrairement à la plupart de ses coreligionnaires, il n’est pas un ancien soldat, et pourtant il a payé un lourd tribut à la guerre. Chirurgien dans un hôpital de Tripoli, ce chirurgien a été grièvement blessé par un obus tombé sur son établissement. Des pansements sur les yeux, il ne voit plus rien et ressent le monde et son corps essentiellement à travers les échos que lui renvoient ses oreilles. A l’écoute de son corps, sa souffrance, est à la fois celle du blessé et celle du médecin.

Il y a aussi Hassen, un marginal qui a trouvé refuge dans le local à poubelles de l’établissement et qui a réussi à se faire embaucher comme groom. C’est sa voix qui conclut le récit, lorsqu’un policier l’interroge dans un commissariat.

De ces quatre narrateurs, la plus étonnante est sans doute Naïma. Cette une femme de caractère, qui ne s’en laisse compter ni par les hommes, ni par le monde, est venue subir une opération de chirurgie esthétique pour une motivation peu commune : tout le monde la trouve belle, mais son visage si harmonieux lui semble d’une beauté fade : elle entend donc s’enlaidir un tantinet afin d’échapper aux canons de beauté imposés aux femmes.

Entre malaise, discours crus et moments burlesques, le récit d’Arno Bertina, parce qu’il amuse et dérange en même temps, ouvre le lecteur à un myriade de questions sur le rapport au corps et à l’altérité. Sans sombrer dans le pathos. Bien au contraire : c’est la vie, et même de temps à autre la joie qui surgissent de ces pages tantôt poignantes et tantôt cocasses.

Des obus, des fesses et des prothèses, Arno Bertina (Verticales).

C’est en discutant avec un ami qu’Arno Bertina a appris l’existence de cet endroit qui lui a tout de suite semblé très romanesque.
C’est en discutant avec un ami qu’Arno Bertina a appris l’existence de cet endroit qui lui a tout de suite semblé très romanesque. © Francesca Mantovani / Gallimard

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