Mali: une infox accuse la France de former des terroristes
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Alors que le désengagement des militaires français du Niger a commencé ce jeudi 5 octobre 2023, la désinformation autour de l'activité des soldats tricolores dans le Sahel bat son plein. Cette semaine, une vieille vidéo sortie de son contexte a refait surface pour faire croire à une implication de l'armée française dans la formation de terroristes liés à al-Qaïda.

La vidéo en question apparaît le 3 octobre 2023 sur un compte Twitter nigérien ouvertement anti-occidental. Sur les images, on y observe des soldats français en tenues couleur sable, équipés de gilets pare-balles qui semblent procéder à une séance d’instruction au tir. L’arme utilisée n’est pas d’origine française. Il s'agit d'une PKM, une mitrailleuse que l'on retrouve régulièrement en Afrique, dans les rangs des armées régulières ou des mouvements rebelles.
L’instruction se passe dans une bonne ambiance entre des soldats français portant un badge de l’opération Barkhane sur l’épaule et des éléments en treillis militaires la tête enturbannée dans un chèche. On y entend des hommes échanger en tamashek, une langue touarègue parlée principalement au Mali. Le commentaire qui accompagne la vidéo indique : « La France a formé des terroristes pour tuer des Maliens et voler les richesses du pays. »

Une vidéo détournée… en 2021
Vérification faîte, cette vidéo a déjà été analysée par l’AFP Factuel en 2021. Elle montre en réalité, d’après l’armée malienne contactée par l’AFP en 2021, « une formation que Barkhane prodiguait aux éléments de l'armée reconstituée, aussi appelée BAT-FAR (Bataillon des Forces Armées Reconstituées) » et non pas une formation clandestine dispensée à des « terroristes ». « L’exercice de tirs [visible dans cette vidéo], c’était la semaine dernière », avait alors ajouté l’officier interrogé.
Une version confirmée par la défense à Paris qui indique que cet événement s’est déroulé dans le nord du pays dans le cadre du Mécanisme opérationnel de coordination (MOC) chargé d'intégrer d'anciens rebelles dans les rangs de l'armée malienne (FAMa). Pour rappel, l'opération Barkhane a quitté le Mali en 2022.
Un narratif fallacieux bien connu
Le récit qui accuse la France de soutenir les terroristes est un classique de la désinformation au Sahel. De l’avis d'experts, ce narratif fonctionne et infuse. En quelques heures, cette vidéo ressortie du placard, s’est répandue sur la toile, notamment portée par un autre compte, dont l’auteur se présente comme un analyste en sécurité. Il s'agit d'un compte anglophone, créé en 2022. En quelques heures, sa publication cumule plus de 60 000 vues et quelque 300 partages, parfois en langues étrangères : arabe, japonais, suédois et portugais notamment. Des signaux devenus caractéristiques d’une volonté d’amplification sur les réseaux.

Au-delà des réseaux sociaux, cette vidéo va également être reprise par la junte militaire au pouvoir au Niger. En effet, le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) l’a publié sur sa chaîne WhatsApp officielle. Un canal crée à l’origine, selon le CNSP, pour « lutter efficacement contre la désinformation ». Le commentaire incite les membres du groupe à partager cette infox : « La France entraîne des terroristes, veuillez partager et informer l'opinion nationale et internationale. »

Précision importante, la junte ne se contente pas de partager la vidéo mais diffuse un montage sur lequel a été ajouté en surimpression un récit diffusé quelques jours plus tôt. Il s’agit de la prise de parole de Vincent Crouzet, un ancien de la DGSE, le service d’espionnage extérieur français, sur la chaîne de télévision LCI le 26 septembre 2023. Celui qui se présente aujourd’hui comme un romancier et qui ne représente en rien la DGSE, affirme devant les caméras « qu’avec le départ de l’armée française du Niger, nous aurons plus de latitude pour mener des actions de déstabilisation plus clandestines ». Une maladresse pour les uns, une révélation pour les autres, cette citation suscite un tollé à Niamey et ailleurs. L’occasion est alors trop belle pour la junte.
Après un montage, l’image de cette intervention apposée à la vidéo des Français qui forment des unités sahéliennes est utilisée pour appuyer le narratif selon lequel la France armerait et entraînerait les terroristes dans la région. Un récit fallacieux utilisé pour alimenter le sentiment anti-français.
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