Menaces sur l’information

Au Salvador, l'exil des journalistes s'accélère

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Au cours des six premiers mois de l'année, 43 journalistes ont quitté le pays d'après un décompte de l'Apes, l'association des journalistes du Salvador qui, elle aussi, a décidé de s'en aller. Elle l'a annoncé au début du mois d'octobre. C'est le dernier épisode d'une relation plus que houleuse entre les autorités du Salvador et les voix qui critiquent le très populaire président Nayib Bukele.

Les forces de l'ordre sont déployées dans les rues de Soyapango, au Salvador, le 3 décembre 2022. [Image d'illustration]
Les forces de l'ordre sont déployées dans les rues de Soyapango, au Salvador, le 3 décembre 2022. [Image d'illustration] © AP/Salvador Melendez
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Au Salvador, ces derniers mois, un cap a été franchi. Dans un rapport, l'Association des journalistes du Salvador (Apes) déclarait début octobre avoir recensé ces départs de journalistes entre le mois de janvier et le 9 juin 2025. « Les journalistes qui ont quitté le pays appartiennent, pour la plupart, à des médias indépendants et/ou numériques, qui sont restés critiques et rigoureux à l'égard du gouvernement actuel », a précisé l'Apes.

En mai dernier, l'avocate Ruth Lopez spécialiste de la corruption au sein de l'ONG Cristosal était arrêtée. Quelques jours plus tard, une loi sur les agents étrangers est adoptée. Comme en Russie, les organisations, comme les médias indépendants, doivent payer une taxe de 30 % sur les fonds reçus de l'étranger. Circule également une rumeur selon laquelle le pouvoir aurait établi une liste noire de journalistes susceptibles d'être envoyés en prison.

Jorge Beltrán Luna quitte alors son pays du jour au lendemain : « J'ai 55 ans, presque 56, et je dois recommencer ma vie à zéro. En ce moment, je suis en train de faire ma demande d'asile. On ne peut pas me renvoyer au Salvador. Mais pour l'instant, je ne peux pas travailler, ni conduire, ni ouvrir un compte en banque. Ce sera comme ça pendant plusieurs mois. Mais au moins, je suis en sécurité et j'ai recommencé à faire du journalisme avec ma chaîne YouTube. »

Le départ a été très douloureux aussi pour Eric Lemus, journaliste d'investigation, qui s'est réfugié au début de l'année aux États-Unis : « Le plus difficile, c'est que ma mère qui a 90 ans, n'a pas pu venir avec nous. Alors, on s'est dit adieu. Elle m'a dit : 'Ne reviens pas. J'ai 90 ans. Je pense que nous ne nous reverrons jamais'. Et ça, ça a été vraiment dur ! C'est sûr, je ne retournerai jamais au Salvador. La situation est irréversible. Plus qu'une dictature, c'est une dynastie qui est en train de s'installer. La famille Bukele n'a aucune raison d'abandonner le pouvoir. Ils contrôlent l'armée, le pouvoir judiciaire, le parquet, l'Assemblée nationale... Ils ne vont donc pas rester au pouvoir cinq ans de plus, mais sans doute vingt ans ».

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À l'Université de Notre-Dame, dans l'Indiana, qui l'accueille, Eric Lemus travaille à la création d'un Observatoire de la corruption.

Jorge Beltran Luna, lui, continue de couvrir à distance l'actualité de son pays : « Au Salvador, les médias ont été décimés. Il ne reste quasiment plus de médias de communication ou de leaders d'opinions qui acceptent de s'exprimer. Ces derniers temps, j'ai constaté que plusieurs personnes qui commentaient d'habitude la situation du pays, refusent désormais de donner des interviews, car elles ont reçu des menaces. Dans mon cas, j'estime que ça vaut la peine de continuer, car je reçois toujours des informations de la part de mes sources, même en étant à l'étranger. Et puis je vois des gens qui se réveillent, qui font des vidéos de rues inondées, des quartiers pauvres. Moi, ça m'encourage à continuer à faire du journalisme ».

Le Salvador occupe la 135ᵉ place sur 180 au classement de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières. Le pays a perdu 61 places au cours des cinq dernières années.

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