Reportage Afrique

Soudan: la junte s'en prend aux artistes [4/4]

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Un an après le putsch, le Soudan est plongé dans le marasme avec des manifestations hebdomadaires et une économie au bord du gouffre. À Khartoum, un centre culturel qui accueillait une exposition artistique a été pris d’assaut par les services de renseignements. 

L’artiste Mido peint un mur du quartier de Jareef al-Gharb à Khartoum, décembre 2021.
L’artiste Mido peint un mur du quartier de Jareef al-Gharb à Khartoum, décembre 2021. © RFI/Abdelmonam Eissa
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De notre correspondant à Karthoum, 

On retrouve la commissaire de l’exposition dans un lieu tenu secret. Duaa Tarik était sur le chemin du centre culturel lorsqu’elle apprend, par téléphone, qu’il est cerné par des militaires. Pendant 24 heures, elle a préféré se cacher pour ne pas être arrêtée à son tour.

« À midi et demi, une escouade de dix pick-up sans plaque d’immatriculation ont bloqué les trois rues qui mènent au centre culturel. Des hommes habillés en civils, le visage dissimulé, sont entrés. Ils ont arrêté neuf personnes, les ont menottées et les ont emmenées en garde à vue », relate Duaa Tarik. « Ils ont saisi l’intégralité des tableaux de l’exposition. Puis, ils ont ouvert trois dossiers d’accusation pour violation de la sécurité nationale, nuisance publique et résistance à l’autorité. C’était une opération préparée ».

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L'art comme thérapie

Les agents cherchaient vraisemblablement à arrêter le jeune artiste surnommé Mido dont les œuvres étaient exposées sur les murs. Dans cette exposition, il racontait justement ses 55 jours passés en prison il y a quelques mois.

« Nous étions neuf personnes entassées dans 6m², sans pouvoir sortir, sans électricité et dans la chaleur totale. Tu subis torture et viol. Ils ont essayé de me briser la main avec un bout de bois », explique Mido. « Cette exposition, c’était une manière de me libérer et de raconter ce qui se passe dans ces prisons. J’ai aussi peint ce tableau qui représente une salle de réunion vide avec du sang partout, sur la table, le drapeau. C’était pour expliquer que nous refusons tout compromis avec les militaires au moment où ils cherchent une porte de sortie, au prix de notre sang », poursuit-il.

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« Une atteinte flagrante à la liberté d'expression »

« Al-Maamel madani » ou « laboratoire citoyen » a ouvert ses portes après le coup d’État. Ce centre culturel se voulait un espace de libre expression pour des artistes engagés dans la révolution soudanaise. Mais cette liberté ne semble pas du goût des autorités qui affirment pourtant vouloir rendre le pouvoir à un gouvernement civil.

« Ce qui s’est passé est une atteinte flagrante à la liberté d’expression. C’était pourtant notre principale demande lors de la révolution de 2019. Ce qui s’est passé dans le centre culturel est une preuve claire que les militaires mentent », pense Duaa Tarik. Puis, elle ajoute : « Au moment où ils tentent de se présenter comme des défenseurs de la démocratie et de la liberté, ils confisquent des œuvres d’art. Ils confisquent nos libertés, nos voix, nos droits. Ils confisquent notre identité en tant qu’artistes, mais aussi en tant que révolutionnaires et citoyens. »

Avec une cinquantaine d’artistes, ils ont rédigé une charte pour la protection de l’art au Soudan. Ils espèrent qu’un jour une loi les protégera.

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