Reportage international

Malaisie: les ONG craignent une augmentation des apatrides

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En Malaisie, plusieurs ONG haussent le ton face au gouvernement. Les enfants apatrides pourraient perdre leurs droits (déjà restreints) en vue d’une modification de la loi malaisienne sur la citoyenneté. En cause : cinq amendements proposés à la Constitution fédérale qui devraient créer de nombreux cas d’apatridie. Les enfants abandonnés n'auront, en effet, plus droit à « la citoyenneté automatique », déjà complexe à obtenir. Si d’autres amendements proposés résoudront la question de la citoyenneté pour les enfants nés de mère malaisienne à l’étranger, le constat est sans appel : c’est une mesure régressive, dénoncent les ONG cette semaine.

Fin août 2023, 150 000 demandes de citoyenneté étaient enregistrées en Malaisie.
Fin août 2023, 150 000 demandes de citoyenneté étaient enregistrées en Malaisie. © Mohd Rasfan / AFP
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De notre correspondante à Kuala Lumpur,

Née d’un père malaisien et d’une mère indonésienne, Mélissa, 21 ans, ne possède pas de carte d’identité. La jeune femme est née sur le territoire malaisien avant que le divorce de son père avec sa première épouse ne soit finalisé.

Malgré son acte de naissance, elle est donc considérée comme apatride. Une lutte de tous les jours, témoigne-t-elle.

« J’ai arrêté mes études, parce qu'en Malaisie, on a des diplômes spécifiques à passer, et je ne pouvais pas parce qu'on te demande de mettre ta carte d’identité sur la table d’examen. Mais je n'ai pas pu passer les examens, parce que je n’ai pas de carte d’identité ! Je ne peux même pas avoir un vrai travail… Avec ces amendements, ça va vraiment m’affecter, parce que j’ai à peine 21 ans, ça sera encore plus dur pour moi. »

150 000 demandes de citoyenneté enregistrées

Avec sa situation actuelle, Mélissa se heurte ainsi à l’impossibilité d’avancer dans sa vie active. Elle fait du porte-à-porte pour proposer des manucures.

« Quand je dois me déplacer d’une maison à une autre, je prends des taxis, mais il y a souvent des barrages… Ils me posent beaucoup de questions, "où est votre carte d’identité ?" "Vous ne l’avez pas ?" "Vous savez que vous devez toujours l’avoir sur vous ?", alors je mens ! Parfois, je dis que je l’ai oubliée. Je dois trouver plein d’idées. Mais à la fin de la journée, je suis épuisée, parce qu'à certains moments, ils me demandent aussi de l’argent... »

Fin août 2023, 150 000 demandes de citoyenneté étaient enregistrées. Si les amendements sont adoptés, ces demandeurs comme Mélissa pourraient ne plus pouvoir demander la citoyenneté.

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« La citoyenneté est une passerelle »

Parmi les profils mis en difficulté par les amendements en question, il y a aussi les enfants apatrides adoptés par des parents malaisiens, ou encore les enfants abandonnés sans document prouvant leur nationalité.

« Comme vous le savez, la citoyenneté est une passerelle : ça ouvre des portes à tous les autres droits », explique Suriani Kampe, présidente de l’ONG Family Frontiers Malaysia. « Et donc, si un enfant n’a pas de citoyenneté, il ne peut pas aller à l’école, avoir accès à la santé, à la mobilité, au droit de se marier par exemple, au droit de fonder une famille. Donc c’est extrêmement préoccupant que le gouvernement procède à quelque chose d’aussi imprudent que ces amendements », ajoute-t-elle. À ses côtés, Zaid Malek, porte-parole de l’ONG Lawyers For Liberty (« Les avocats pour la liberté »).

« Ce sont des amendements cruels ! Il n’y a pas d’autre mot à utiliser. Pourquoi est-ce qu’on est en train de punir les enfants ? Les apatrides sont déjà privés de leurs droits à l’éducation, à la santé, par exemple. C’est le gouvernement derrière cette loi, c’est le gouvernement qui a présenté ce projet de loi au Conseil », martèle Zaid Malek. « On lutte contre cette problématique depuis trop longtemps. Et au regard de ces amendements spécifiques, on a constamment déclaré et demandé pourquoi ils étaient cruels. On ne peut pas plaider l’ignorance, ici »

Et selon l’avocat, ces amendements réduiraient les enfants à une existence en marge de la société.

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