Élections européennes: quelle place pour les Samis, peuple autochtone de la zone arctique?
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Considérés comme l’un des derniers peuples autochtones d’Europe, les Samis vivent dans la zone arctique, sur un territoire qui s’étend de la Norvège à la Russie, en passant par la Suède et la Finlande, deux pays de l’Union européenne. Alors qu’ont lieu les élections européennes, les Samis espèrent être mieux pris en considération par les politiques européennes.
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De notre envoyée spéciale en Finlande,
Depuis le petit aéroport d’Ivalo, le plus septentrional de l’Union européenne, il faut rouler plusieurs heures au milieu des pins et des bouleaux de la taïga caractéristique de la Laponie finlandaise, pour atteindre Hetta. En cette fin avril, le soleil ne se couche déjà plus vraiment mais le printemps a encore du mal à percer à travers l’épaisse couche blanche accumulée durant les longs mois d’hiver.
C’est dans un hôtel de ce village étiré le long d’un immense lac gelé que le Conseil Sami s’est donné rendez-vous. À première vue, le choix de ce lieu pour une réunion de cette ONG qui regroupe des associations samies peut paraître incongru, la densité de population ne dépasse pas les deux habitants au kilomètre carré dans cette région du Grand Nord. Mais en se penchant sur une carte, on se rend compte que l’on se trouve tout près des frontières suédoise et norvégienne. Le territoire traditionnel de ce peuple autochtone couvre le nord de la Norvège, où ils sont le plus grand nombre, de la Suède, de la Finlande et de la Russie. Mais depuis la guerre en Ukraine, les Samis ont été contraints de couper les ponts avec leurs « frères et sœurs » qui vivent dans la péninsule de Kola.
Quelques intonations de joik, le chant traditionnel sami, résonnent parfois, mais l’ambiance est sérieuse, les 15 membres du Conseil arborent tous une tenue traditionnelle samie impeccable, tunique colorée et chaussures à en peau de rennes à bout relevé. Le programme de ces trois jours est chargé : examen des demandes d’adhésion, visite en Norvège du mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones de l’ONU, exploitation des fonds marins… Les sujets de préoccupations ne manquent pas pour les Samis. Et ces dernières années, le réchauffement climatique, quatre fois plus rapide dans la zone arctique, est venu s’ajouter à leur lutte perpétuelle pour une meilleure reconnaissance de leurs droits par leurs pays respectifs, notamment en matière de terre et de préservation de leur culture.

« On se sent aux marges »
Les élections européennes qui se profilent, elles, ne figurent pas à l’ordre du jour, confirme Aslat Holmberg, le président du Conseil. Parmi les Samis, seuls ceux vivant en Finlande et de Suède sont appelés à voter pour renouveler le Parlement européen, la Norvège ne fait pas partie de l’UE. « Pour être honnête, la première pensée qui me vient, c'est que c’est loin, concède le pêcheur originaire d’un village finlandais à la frontière norvégienne. Géographiquement parlant, on sait qu’on est dans l’Europe, mais parfois, on dit qu’on va en Europe pour dire qu’on va en Belgique ou en France. On se sent à la périphérie, aux marges des pays nordiques. »
Si Aslat Holmberg se sent loin de Bruxelles, c’est aussi qu’il a conscience qu’il est difficile d’exister dans un si grand ensemble quand on n’est que quelques milliers : les Samis sont environ 100 000 au total, mais seulement 20 000 et 10 000 respectivement en Suède et en Finlande. Politiquement, aucun parti n’incarne les revendications samies et aucune statistique ne permet de dire quelles formations ont le plus les faveurs de cette population. « Mais bien sûr, on a conscience de l’impact de l’Europe sur notre vie ici, donc on souhaite un résultat qui garantisse une direction positive à l’égard des peuples indigènes et qui tienne compte des personnes transfrontalières ». A cet égard, il redoute la poussée de l’extrême droite : « Je ne pense pas que les droits des peuples autochtones figurent très haut dans leur liste de priorités. »

250 km au nord-ouest, le village d’Inari, « cœur de la culture samie » en Finlande, indiquent les brochures touristiques, abrite le Parlement Sami. Dans le majestueux bâtiment en bois, Pirita Näkkäläjärvi, l’actuelle présidente, a la mine fatiguée. Elle doit remettre son mandat en jeu fin juin après l’invalidation des élections par la Cour suprême administrative de Finlande. Les critères d’éligibilité pour participer aux élections parlementaires de cette minorité sont un sujet de discorde dans le pays et au sein même du peuple sami. « Une nouvelle fois, notre droit à l’autodétermination a été bafoué », se désole-t-elle.
Pas de reconnaissance juridique à l'échelle de l'UE
Mais pas question de négliger pour autant les élections européennes. « C’est très important pour nous, assure-t-elle. On ne donne pas de consignes de vote, mais on communique sur les priorités qu’on veut porter : avoir d’abord une représentation du peuple sami dans le processus décisionnel au niveau européen, la deuxième chose, c'est que nous avons aussi besoin d’aide pour nous adapter au changement climatique. Et troisièmement, on voudrait s'assurer qu'on privilégie l’entrepreneuriat sami plutôt que de faire venir de grandes entreprises ici, dans le Nord. »
Si en Finlande, comme en Suède et en Norvège, les Samis ont leur propre Parlement depuis les années 1990, c’est qu’ils ont fait l’objet d’une politique de reconnaissance. Leurs pouvoirs restent très limités et essentiellement consultatifs, mais ils permettent aux Samis d’avoir une voix pour s’exprimer sur les sujets qui les concernent.
Au niveau européen en revanche, c’est une autre histoire. « Les Samis n’ont pas de reconnaissance juridique », souligne l’ethnologue Irène Bellier. Et pas de représentation au sein des institutions européennes. Dans ces conditions, difficile d’exister et de se faire entendre. « Par chance, cette année, on a pas mal d’alliés parmi les candidats finlandais, tempère la présidente du Parlement sami. Donc on espère que certains vont passer et qu’on aura de nouveaux canaux pour discuter. Mais le Parlement européen, c’est un truc gigantesque. Il y a aussi des jeux d’alliances. Donc c’est un peu compliqué. »
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Si pour Niila Juan Valkeappa, ces élections sont très importantes, notamment sur le plan climatique, ce jeune activiste qui vit à Helsinki déplore le manque de connaissance des enjeux samis. « En général, en Finlande, il y a un manque de connaissance de nos problématiques, donc c’est encore pire au niveau européen. »
Pirita Näkkäläjärvi résume l’équation européenne pour les Samis : « À la fois, c’est très éloigné et assez proche. Éloigné parce que Bruxelles est loin et que nous n’avons pas de représentation là-bas, mais à la fois proche parce qu’on sait que les décisions par l’UE, les directives nous impactent directement... Mais que nous n’avons pas beaucoup de possibilité d’avoir un impact sur les politiques qui sont prises là-bas. »
Une transition verte au goût amer
Pourtant, l’enjeu est grand. Car certaines politiques européennes affectent directement leur mode de vie. À mille lieux des allées feutrées du Parlement européen, les éleveurs de rennes peuvent en témoigner. Les Samis ne sont plus que 20% à vivre de l’élevage, mais cette pratique demeure centrale dans leur culture. Forêts, minerais, espaces vierges… De tout temps, les terres où vivent les Samis ont suscité les convoitises des industriels, réduisant d’années en année le territoire des cervidés. Mais avec la « transition verte » lancée par l’Union européenne pour rendre son économie plus durable, la pression est exacerbée, et parée des beaux habits de l’écologie, elle légitime les velléités des États. Conseillère pour l’Association des éleveurs de rennes de Finlande, Sanna Hast confirme un « un boum des projets d'exploitation minière et de production d'énergie renouvelable en Laponie finlandaise ».
« Pour nous, cela s’apparente plutôt à une transition toxique », lance Mika Kavakka, à la tête de la plus grande coopérative d’éleveurs du pays. Mika fait partie de ce qu’on appelle en FInlande les « Samis non reconnus », ceux qui n’ont pas le droit de vote au Parlement Sami. Mais il se définit comme Sami et élève ses rennes dans la tradition. Le troupeau passe la plupart de son temps dans les pâturages, en liberté. « Notre culture a plus de 2000 ans et prend racine dans ces terres. Cette façon de vivre, c’est toute notre vie », insiste le colosse, chapka sur la tête. Depuis des années, il se bat contre un projet minier à quelques kilomètres de là. Phosphate, fer… Jusqu’à présent, l’exploitation du gisement de Sokli n’avait pas abouti, freiné par les résistances et les recours en justice. Mais la menace est devenue plus concrète que jamais l’année dernière, lorsque Finnish Minerals Groups, l’entreprise publique propriétaire de Sokli, a annoncé que, selon son étude exploratoire, le gisement pourrait produire « au moins 10% de toutes les terres rares nécessaires annuellement à la production d'aimants permanents en Europe ». Des pièces nécessaires dans les véhicules électriques, les éoliennes ou encore les panneaux solaires. Une aubaine pour la Finlande qui ambitionne de se développer sur ces marchés d’avenir. « L'Europe vise à devenir un continent neutre en carbone d'ici 2050, et les terres rares sont essentielles à la mise en œuvre de la transition verte », commentait d’ailleurs un cadre de l’entreprise.

Mais pour Mika et les autres, ce serait une catastrophe. L’éleveur désigne la route qui file jusqu’à Sokli. Pas un véhicule à l’horizon. « Cette route divise notre district en deux parties et coupe l’habitat naturel des rennes. Ils prévoient 300 camions par jour. C’est énorme, et les camions tueront nos rennes ! » s’insurge-t-il. Sans compter la pollution occasionnée par la mine qui contient aussi de l’uranium et qui se déverserait dans les eaux de la rivière. « Cela pourrait être une balle dans le cœur pour nous, éleveurs de rennes », conclut-il. Pour lui, l’Union européenne se fourvoie. « Mieux vaudrait recycler les minerais et consommer moins. C’est comme ça qu’on pourra sauver la planète, tance-t-il. Pas en prélevant tout ce qu’on peut de la terre, pas en abattant des forêts... » Même s’il se sent impuissant, Mika votera, mais il ne sait pas encore à qui il donnera sa voix.
« Le problème, c'est que nos États ne nous consultent pas avant d’entrer dans la salle de négociation », explique Elle Merete Omma, membre du Conseil Sami, en prenant l’exemple du Règlement sur les matières critiques (CRMA). Ce document s’inscrit dans le cadre du Pacte Vert européen et prévoit de rendre l’UE moins dépendante de pays comme la Chine et la Russie pour son approvisionnement en matières stratégiques. « Au moment des négociations, on s’est rendu compte que nos États membres ont tout fait pour abaisser le niveau d’exigence vis-à-vis des populations locales et ont poussé pour réduire les délais d’obtention des permis et rogner sur les normes environnementales. »
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Mais sur certains dossiers, note Elle Merete Omma, l’UE peut s’avérer une alliée. L’année dernière, le règlement européen « zéro déforestation » est entré en vigueur. Désormais, les entreprises qui voudront exporter des produits issus des forêts devront démontrer que ces produits ne contribuent pas à la déforestation ou à la dégradation des forêts. « J’ai été agréablement surprise par la pression que la Commission a su mettre sur les États membres sur la question de la sylviculture, pointe-t-elle alors que la Suède et la Finlande, dont l’industrie forestière est un pilier de l’économie, ont multiplié les tentatives pour affaiblir cette loi. Elle a tenu bon pour donner la priorité à la biodiversité. »
Des progrès
Alors comment mieux se faire entendre pour être mieux pris en compte dans les politiques européennes ? Ces dernières années, l’importance croissante de la région arctique au niveau stratégique, économique et environnemental, a donné un coup de projecteur sur les Samis. L’UE a vu l’importance de dialoguer avec ce peuple qui constitue sa porte d’entrée dans la région. D’un autre côté, les Samis ont compris l’intérêt d’une meilleure connaissance de leurs enjeux au niveau européen. Une prise de conscience mutuelle qui a donné lieu à diverses initiatives, comme l’organisation d’une Sami Week (Semaine samie) en 2022 à Bruxelles.
Depuis 2019, Elle Merete Omma s’emploie à tisser un lien direct avec l’Union européenne avec la création de l’unité Sami-UE qu’elle dirige au sein du Conseil Sami. La première étape a été de tenter de combler ce fossé entre l’UE et les Samis, à travers le projet « Filling the EU-Sápmi knowledge gaps » (Combler les lacunes de connaissances entre l'UE et les Samis). « Nous travaillons pour tenter de sensibiliser, en particulier la Commission européenne, et nous avons réussi à obtenir un financement pour poursuivre ce travail, se réjouit Elle Merete Omma. Aujourd'hui, nous avons élaboré une stratégie européenne dans le cadre de laquelle la société civile samie a identifié des sujets qui constituent une préoccupation majeure pour le peuple sami et sur lesquels l'Union européenne peut avoir un impact. » Un lobbying qui commence à porter ses fruits, selon elle. L’année dernière, Bruxelles a accueilli son premier sommet Sami.
Les programmes transfrontaliers comme Interreg Aurora, qui couvrent le nord de la Norvège, de la Suède et de la Finlande, et intègrent les Samis dès les premières étapes du processus avec un comité de sélection 100% Sami, offrent aussi une nouvelle source de financement pour des projets autour de la culture samie.
Mais de l’avis de tous, il reste beaucoup à faire pour construire une relation équilibrée. « Nous sommes le seul peuple autochtone reconnu dans l’Union européenne. Mais ce qui est drôle, pointe Pirita Näkkäläjärvi, c’est que l’UE, qui a une politique très développée vis-à-vis des peuples indigènes en dehors de l’Europe, n’a pas de politique interne vis-à-vis de ses peuples autochtones. »
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