Chine: le diktat des applis de référencement des restaurants contesté par les restaurateurs eux-mêmes
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Les applis de référencement des hôtels, cafés et restaurants, suscitent la colère d’une partie des professionnels en Chine. Ces plateformes en ligne comptent des dizaines de millions d’abonnés. Elles permettent théoriquement de mettre en valeur les établissements concernés, mais avec une pression en termes de contraintes et de tarifs parfois difficile à supporter.

De notre correspondant à Pékin et et Chi Xiangyuan,
Des dizaines de millions d’yeux rivés sur les écrans des smartphones à l’heure du déjeuner. Les applications de référencement font partie du quotidien en Chine. Les géants du secteur couvrent une grande partie de ce pays continent. En 2022, le géant chinois des livraisons de repas Meituan était présent dans près de 700 villes chinoises avec 9,3 millions de commerçants actifs et, sa filiale Dianping, première appli de classement de restaurants au monde, comptait plus de 20 millions d’enseignes référencées en 2023.
La toute-puissance des « KOL »
Pour les professionnels qui dénoncent la pression des plateformes en lignes sur les réseaux sociaux, l’histoire commence souvent par l’apparition de mystérieuses silhouettes qui tournent autour de votre établissement. « Dès qu’il y a un logo sur votre restaurant, une personne peut prendre la photo et c’est elle qui démarre votre compte sur l’application, raconte un restaurateur français qui tient à rester anonyme. Au tout début, vous ne comprenez pas d’ailleurs. Vous venez de lancer votre affaire et vous avez des "KOL"(de l’anglais « Key opinion leader ») qui n’arrêtent pas de trainer autour de votre restaurant. On vous demande quand votre logo va apparaitre sur la façade de l’établissement. Au début, on ne comprend pas, puis le jour où votre enseigne est posée, le premier qui prend la photo gagne des points auprès de Dianping. Et c’est lui qui crée votre compte, que vous ne contrôlez pas. Ce qui est écrit dessus peut-être vrai ou faux, vous ne contrôlez rien jusqu’au jour où vous voulez reprendre possession de votre compte. Et là, vous devez payer. Il faut compter environ 1 500 euros à l’année, en fonction des options. Après, vous pouvez répondre à vos clients. »
Ces frais de services sont généralement accompagnés de contraintes imposées par les plateformes qui jouent en quelque sorte les agences de publicité en référençant les établissements. Les chefs d’entreprises que nous avons rencontrés nous ont notamment parlé de réductions imposées sur les repas, de coupon de promotions réservés aux utilisateurs des applis et qui permettent d’augmenter votre note, et cela coute cher.
Il faut aussi employer des personnes quasi à plein temps pour répondre aux utilisateurs. « Si vous ne répondez pas à vos clients dans les 24 à 48 h, vous êtes pénalisé, poursuit le restaurateur français. On vous oblige à répondre avec des réponses qui sont déjà prévues dans le backoffice, du genre : "nous avons bien pris notes. Merci pour votre commentaire. Nous allons essayer d’y remédier". Et il faut bien sûr répondre sept jours sur sept. Nous c’est simple, nous sommes au moins trois dans le restaurant à travailler en permanence sur l’application. Et en plus derrière, dans cette application, on vous impose de faire des gestes, de proposer des diners à 70% ou 60 % de la valeur, sinon votre score ne monte pas. La puissance des influenceurs se traduit aussi par ces "KOL" mécontents qui viennent dans votre restaurant et vous disent qu’ils n’aiment pas leur plat en vous menace : "soit je ne paye rien, soit je vous mets une mauvaise note". »
Faux commentaires
Parmi les récriminations qui reviennent le plus ; il y a aussi le fait qu’une fois lancé, il soit très difficile de sortir de l’appli. « Franchement, ces applications sont sans vergogne et ils gagnent sur tous les tableaux, grogne monsieur Wang. En fait, ils considèrent à la fois nos clients et nous même, comme leurs clients, poursuit ce patron de bar joint dans la province orientale du Shandong qui dit aujourd’hui avoir du mal à se libérer des plateformes. Ils disent et font ce qu’ils veulent. Moi, j’ai voulu qu’on retire mon magasin de leurs classements, mais ils m’ont dit que ce n’était pas possible. Je loue le fonds de commerce, je le gère et donc je n’ai de compte à rendre à personne. J’ai râlé, je leur ai dit que je ne voulais pas être sur leur site web, mais rien à faire. Ils ne m’ont pas enlevé du site. Ils ont affirmé qu'il s'agissait d'une plate-forme ouverte et que tant que vous aviez un magasin, ils pouvaient le répertorier. N'est-ce pas juste un comportement de voyou ? Vraiment, ils ne nous respectent pas ! »Si une partie des professionnels se plaint, les utilisateurs plébiscitent ces applis, tellement pratiques au quotidien pour trouver une adresse ou déjeuner. Les établissements sont indiqués avec leur description et notés. Selon Sinolink Securities, Dianping comptait ainsi près de 19 millions d’utilisateurs l’an dernier.
Avec également, pour les restaurateurs un effet « boost » au départ qui entraine une certaine accoutumance. « Quand vous montez votre restaurant au début, dit notre restaurateur français, ils vous mettent la note de 4,8 ou 5 – cela dépend si vous faites les livraisons ou pas les livraisons. Et votre score reste au top pendant trois ou quatre mois. Le restaurant marche bien, les gens viennent par ce qu’ils voient "4.8" sur leur appli. Durant cette période, vous avez aussi beaucoup de visiteurs qui vous disent que vous devriez dépenser de l’argent dans les services de Dianping et que si vous ne le faites pas, votre note risque de s’effondrer. Et au bout de trois ou quatre mois, votre score commence effectivement à chuter. Ces mêmes personnes reviennent et vous disent que si vous ne suivez pas leurs conseils, il sera très dur de remonter en raison de l’algorithme. Ils vous disent qu’il faut payer des "KOL", des influenceurs qui vont avoir des gros réseaux et vont mettre des faux commentaires pour votre restaurant, de manière à ce que vous puissiez rester en haut du classement. Et si vous voulez aller plus loin, pour les mauvais commentaires, ils se disent indirectement reconnus par Dianping, et donc en capacité d’effacer les mauvais commentaires, mais là c’est un autre prix. À un moment donné, on se dit, qu’on n’est pas dans notre pays et qu’il faut jouer le jeu de l’application. Mais en réalité, on se retrouve à payer pour ne pas se faire taper sur les doigts par Dianping en interne avec des réductions continuelles. Il faut embaucher des gens pour ça, il faut sans cesse changer nos publicités sur Dianping et multiplier les promotions. On est complétement pris en otage et les restaurateurs étrangers et même chinois n’en peuvent plus. Sans parler du consommateur qui lui aussi se fait avoir vu que c’est tellement faux, tellement trafiqué. »
« Terrorisme des notes et des commentaires »
Les restaurateurs ne sont pas les seuls à parler de « faux commentaires ». Les autorités, dont la Cour suprême chinoise, ont également pointé du doigt ces « fausses promotions » et appelé à des corrections. Les applis concernées ont d’ailleurs, elles aussi, recommandé aux utilisateurs de se faire leur propre jugement. Sans grand changement pour l’instant, comme en témoigne l’histoire de ce restaurateur coréen qui a dû fermer son établissement à Shanghai, non pas à cause du Covid, mais à cause des applis, raconte l’une de ses proches :« Mon ami avait un restaurant coréen au centre de Shanghai. Ça marchait très bien, ça a duré sept ans. Son restaurant était situé vraiment downtown et c’était souvent plein. Et puis un jour, il a demandé à diminuer les frais exigés par les deux applis. En fait, les promotions demandées par les applis ont un coût. Et puis il y a les frais de commission (3,5 yuans) et les frais de services (4 yuans) Il n’avait pas besoin de faire de livraisons. Il ne voulait plus de leurs services. Mais eux se sont associés pour lui mettre tous les jours des mauvais commentaires. Sa note a chuté et il a fini par jeter l’éponge. C’est ce qu’on appelle du terrorisme des points, du terrorisme des commentaires. »
Un terrorisme des notes et des commentaires que certains professionnels du secteur proposent d’atténuer en réglementant les notations. Pour commencer, ils demandent à ce qu’il ne soit plus possible de laisser des commentaires sans prouver que vous avez bien consommé dans les établissements. Un appel pour l’instant resté lettre morte.
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