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Chine: l’«hubris» des cyberpatriotes face au prix Nobel de littérature et une marque d’eau minérale

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Quel est le rapport entre un prix Nobel de littérature et une marque d’eau en bouteille ? Les nationalistes chinois. Depuis fin février, la Chine assiste à une déferlante de critiques contre l’écrivain Mo Yan et la marque d’eau minérale Nongfu. Quelle mouche a piqué les « cyberpatriotes » chinois ?

L'écrivain chinois Mo Yan à Pékin, août 2017.
L'écrivain chinois Mo Yan à Pékin, août 2017. © AP/Mark Schiefelbein
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De notre correspondant à Pékin,

L’hypersensibilité des cyberpatriotes est bien connue en Chine. La moindre critique du pays et du parti – les deux se confondent souvent dans la langue commune à la propagande et aux nationalistes –, déclenche aussitôt une mise au pilori des ennemis de la patrie, forcément soutenus par des « forces hostiles de l’étranger ». Sauf que là, on n’est pas vraiment dans ce scénario. Mo Yan, le prix Nobel de littérature, n’est pas exilé à l’étranger. La force de son œuvre littéraire qui n’hésite pas à fouiller dans les nombreuses parts d’ombre de l’historiographie officielle a certes pu gêner les censeurs, mais il a été aussi critiqué par les dissidents pour un supposé manque de courage dans le discours. Certains s’étant même parfois moqué de son vrai nom Guan Moye qui, en mandarin, signifie « ne pas parler ». Mo Yan a, malgré ces critiques, longtemps été une fierté pour la Chine. Pareil, pour les eaux en bouteille Nongfu Spring, sachant qu’on ne parle pas ici d’une marque étrangère, mais bien de l’eau minérale chinoise la plus vendue dans le pays.  

Passeport américain

Pourquoi en vouloir à une marque d’eau en bouteille ? En réalité, ce ne sont pas les bouteilles d’eau en plastique Nongfu les plus consommées ici, mais le fondateur de la marque Zhong Shanshan, l’homme le plus riche du pays, selon le classement Forbes, qui est visé. Cette chasse à l’homme ou aux sorcières sur internet s’est réveillée lorsque son concurrent, l’autre ex-plus grande fortune de Chine, Zhong Qinghou est mort il y a trois semaines. Lui, c'était le patron des eaux purifiées Wahaha et il était considéré comme un entrepreneur patriotique.

Alors qu’est-ce qu’un entrepreneur patriotique ? C’est quelqu’un par exemple, dont le fils ne possède pas un passeport américain comme celui de Zhong Shanshan, nom au passage qualifié par les nationalistes de pixels, comme ayant une consonance japonaise. « Si le successeur de Nongfu Spring est un Américain, l’idéologie de cette entreprise est inacceptable », écrit un internaute chinois sur le réseau weibo. « Je ne peux pas accepter qu’un Américain devienne l’homme le plus riche de Chine », écrit un autre, dans des propos rapportés par VOA.

La lettre d’hommage à Zong Qinghou que Zhong Shanshan a envoyée, comme il est de tradition, sept jours après le décès de Zong Qinghou n’a pas suffi à apaiser la colère, au contraire. Ces internautes patriotes reprochent aussi au fondateur des eaux Nongfu, d’avoir calomnié et lancé des rumeurs malveillantes contre son concurrent de son vivant. Ce qui a déclenché une campagne pour le moins farfelue contre les bouteilles, contre le design de la marque. Les nationalistes voient des signes d’antipatriotisme partout, c’est bien connu. Certains ont notamment critiqué les étiquettes des bouteilles de thé : quatre coups de pinceaux dont la stylisation ressemblerait selon eux au sanctuaire de Yakusuni à Tokyo, où sont commémorés les généraux japonais coupables de crimes de guerre en Chine et en Corée.  

« Fatwa » d’un influenceur

Pourquoi le prix Nobel de littérature 2012 est visé ? Concernant Mo Yan, l’attaque est centrée sur la supposée « diffamation envers l’armée et le parti communiste dans sa résistance à l’invasion japonaise dans les années 1930 ». En gros, l’écrivain n’aurait pas dépeint ces institutions sous un jour suffisamment glorieux ou même dans une « ambiguïté positive » acceptable pour les excités du drapeau. Cette « fatwa » a été lancée par un influenceur patriote connu sous le pseudo de Mao Xinghuo, mélange entre « Mao » et « étincelle », reprenant un slogan du grand timonier selon lequel « une étincelle peut allumer un feu de prairie ».

Ce dernier a menacé fin février de poursuivre le prix Nobel en justice pour violation de la loi sur la protection des héros et des martyrs de la révolution et dans le cadre de la chasse aux « nihilistes historiques ». Mo Yan n’a pas répondu à ces critiques. Son éditeur, Zhejiang Publishing Group, a simplement envoyé un communiqué rappelant qu’une œuvre littéraire « en tant que fiction, ne doit pas être abordée dans la perspective d’un reportage factuel, et les histoires dans le roman ne peuvent être traités comme des évènements historiques qui se sont produits dans la réalité ». Bref, comme disaient les panneaux autrefois à la fin du film :« Toute ressemblance avec des faits et des personnages existants ou ayant existé serait purement fortuite et ne pourrait être que le fruit d'une pure coïncidence. »

Marques de prêt-à-porter régulièrement épinglées

Ces campagnes de dénonciation et de critiques reviennent régulièrement dans l’actualité chinoise. Les marques étrangères de prêt-à-porter et de haute couture se sont fait plusieurs fois épinglées et tailler des costards pour soi-disant irrespect de la culture et des traditions chinoises. Nike a ainsi été attaqué pour avoir représenté dans une publicité un homme battant un dragon lors d’un match de basket. Le chausseur américain a dû présenter ses excuses. Même chose pour Dolce & Gabbana. Le couturier italien a aussi dû s’excuser après avoir osé montrer dans une de ses campagnes, un mannequin chinois mangeant maladroitement des spaghettis avec des baguettes. Même des yeux jugés « trop bridés » dans des publicités peuvent attirer les foudres des patriotes.

Ce qui est nouveau, c’est que même des marques chinoises comme Huawei ont pu être qualifiées de « non patriotes ». Certains journalistes des médias chinois ou des universitaires - ces derniers jours - ont dénoncé cet hubris mal placé. C’est compliqué, car ces attaques ne viennent pas de nulle part. Cette fébrilité nationaliste s’inscrit en effet dans un cadre institutionnel et juridique qui vise à criminaliser ce qui est désormais considéré comme « une atteinte à l’esprit national ».

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