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Des scientifiques français associés à l’exploration chinoise de la face cachée de la Lune

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Des échantillons de la face cachée de la Lune sont en route vers la Terre. La sonde lunaire chinoise Chang’e-6 a décollé, mardi 4 juin, depuis le sol lunaire. Il s’agit d’une première et un programme auquel s’est associé une équipe de scientifiques français.

Décollage de la fusée chinoise transportant la sonde Chang'e 6 au centre de lancement de Wenchang, dans la province de Hainan, au sud de la Chine, le 3 mai 2024.
Décollage de la fusée chinoise transportant la sonde Chang'e 6 au centre de lancement de Wenchang, dans la province de Hainan, au sud de la Chine, le 3 mai 2024. © AFP/Hector Retamal
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Avec notre correspondant à Pékin,

Une dizaine d’experts de l’Institut de recherches en astrophysique et planétologie (Irap) dans le sud de la France, sont en Chine depuis le début de la mission Chang’e-6. D’abord, le lancement de la sonde depuis la province de Hainan, le 3 mai dernier, jusqu’à l’alunissage du collecteur de cailloux lunaires, dimanche. Puis son départ de la Lune, hier mardi 4 juin, qu’ils ont suivi depuis le centre de contrôle du CNSA - l’administration spatiale chinoise.

Sylvestre Maurice, astronome à l’université de Toulouse et professeur à l'Irap, nous dit à quoi ressemble une salle de contrôle chinoise : « Ce sont de très grandes salles avec des écrans immenses. Je ne savais pas que des écrans aussi grands pouvaient exister et puis il y a des consoles partout. Cela ressemble à ce qu'on voit dans les films. Vous avez des rangées de consoles et des gens qui travaillent, avec ces énormes écrans sur les murs. C'est un peu futuriste, mais au bout d'un moment on s'y fait. Et puis on voit, toutes ces images qui arrivent en temps réel. C’est quelque chose qu’on vit dans notre chair, avec des moments très stressants lorsqu’il a fallu mettre en route notre instrument. Voir s’il marche ou s’il ne marche pas, puis les premières données arrivent. Est-ce qu'il faut le réajuster ? Est-ce qu'il faut renvoyer des commandes ? Ce sont vraiment des choses éprouvantes et après 48 h on est fatigué ».

Gaz rare et cailloux lunaires

La Chine entend monter des missions internationales. C’est en effet très politique la Lune. On a vu hier avant qu’il ne décolle, le module lever un petit drapeau chinois au bout de son bras robotique. Et donc parmi les charges utiles de Chang’e-6, il y avait un mini satellite pakistanais, un instrument de mesure suédois et un instrument français, dont le service science de RFI nous a parlé au départ de la mission. Il s’appelle le Dorn, c’est un chasseur de radon, un gaz rare qui permet de savoir comment le sol lunaire réagit aux températures extrêmes. Car s’il fait « frisquet » sur la lune (-23 °C en moyenne), cela peut descendre beaucoup plus bas et monter très haut. Les matériels doivent résister à cette amplitude des températures. On est quand même à trois jours de fusée, près de 380 000 kilomètres de la Terre et surtout, on est sur le dos de l’astre rocheux. C’est la deuxième fois que la Chine fait atterrir un engin sur la face cachée de la Lune. La première c’était Chang’e-4 en 2019. Cinq ans plus tard, pour Chang-e 6, il a fallu trouver un moyen de rester en contact avec la sonde : en l’occurrence, un satellite relais. 

« La Lune tourne en 28 jours autour de la Terre et elle tourne sur elle-même en 28 jours, donc finalement elle nous montre toujours la même face. On ne voit pas la face cachée qui est derrière. On ne peut pas communiquer avec elle. Toutes les missions américaines de type Apollo ou soviétiques de type Luna ont eu lieu du côté de la face visible. Il a donc fallu mettre en place un satellite relais envoyé plusieurs semaines à l’avance et qui fait le relais », indique Sylvestre Maurice.

La particularité de cette mission, et c’est là que c’est une première, c’est que la sonde revient avec des échantillons de la surface de la face cachée de la Lune...

Avec sa foreuse et son bras robotique, le module a attrapé des morceaux de roches lunaires au bout de ses pincettes articulées. Et c’est - en fait - assez rare de faire revenir les sondes vers la Terre. On le fait pour ramener une cargaison précieuse et c’est le cas aujourd’hui avec ces deux kilos de cailloux en route pour les labos avec lesquels ils seront partagés. Ils ont pioché sur la lune, en tout cas sur sa face cachée précisément dans ce qu’on appelle le bassin Pole Sud-Aitken, c’est le plus grand bassin d’impact de la lune. 

« Il est tellement gros ce bassin d’impact qu'on pense que le bolide qui l’a créé, a fracturé la croûte lunaire. Il l’a probablement arraché et, via ces échantillons, on aura peut-être accès au manteau de la Lune. Ce qui serait une grande première.

Pourquoi on ne connait pas ce manteau ?

« Toutes les planètes démarrent par ce que l'on appelle un océan de magma, puis tous les éléments lourds tombent, alors que les éléments légers comme le calcium et l’aluminium flottent et constituent la croûte. Et puis, en-dessous il y a le manteau. La croûte est très épaisse, mais là on a peut-être un endroit où il n’y a pratiquement pas de croûte. Il y a le manteau et ça va nous renseigner sur la façon dont une planète, ici la Lune mais ce pourrait être la Terre, se refroidit. Comment une planète se construit », explique Sylvestre Maurice.

Est-ce qu’on sait quand ces échantillons arriveront sur terre ?

Le module est maintenant dans une orbite prédéfinie autour de la terre selon le CNSA. La descente vers la Terre pourrait être amorcée autour du 25 juin. Et pour l’étude du radon collectée par l’instrument français, les analyses devraient prendre quelques mois.

Sylvestre Maurice, astronome à l’Université de Toulouse et professeur à l'Institut de Recherche en Astrophysique et Planétologie.
Sylvestre Maurice, astronome à l’Université de Toulouse et professeur à l'Institut de Recherche en Astrophysique et Planétologie. © Stéphane Lagarde / RFI

« Quand on demande aux enfants chinois ce qu'ils veulent faire, beaucoup disent qu’ils souhaitent être astronautes. En Occident, c’est plus influenceurs ou footballeurs »

Sylvestre Maurice astronome à l’université de Toulouse et professeur à l'Institut de recherche en astrophysique et planétologie, a bien voulu répondre à plusieurs questions précises.

RFI : L’administration spatiale chinoise parle « d’un exploit sans précédent dans l’histoire de l’exploration de la Lune », qu’est-ce que cette mission peut nous apporter en termes de découverte spatiale ?

Sylvestre Maurice : C'est un programme extraordinaire, à l'échelle de ce que faisaient les Américains dans les missions Apollo et les Soviétiques dans les missions Luna. Et maintenant, c’est au tour des Chinois ! L’originalité de Chang’e-6, c'est que les échantillons viennent de la face cachée de la Lune et précisément de l’immense bassin Pôle Sud-Aitken.

La sonde est partie, mais Dorn, l’instrument français de la mission, est resté...

Oui, notre instrument est à la surface de la Lune et le restera à jamais. L'idée c'est de faire revenir peut-être deux kilos d'échantillons et c'est tout ! Le reste on s'en moque. On ne va pas ramener des fils et des morceaux d’aluminium. Dorn est le premier instrument français actif sur la lune. Il nous a permis d’acquérir des données sur le radon. Ce gaz lourd est utilisé comme traceur de ce qui se passe dans le sol lunaire et surtout son évolution en fonction des températures. Quand on est au soleil sur la Lune, il fait + 100 °C, mais quand on est à l’ombre cela peut tomber à - 180°, - 200 °C. On a donc une grande amplitude de températures qui fait craquer le sol et sortir des gaz qui vont constituer une exosphère. On utilise le radon comme traceur de l’évolution de cette exosphère. 

Pourquoi les Français font partie de cet objectif Lune ? On n’est pas capables d’y aller tout seul ?

La lune n’est effectivement pas une priorité politique de l’Europe. Nous, on est plutôt sur Mars. En revanche, la France a un vrai savoir-faire en matière d’instruments scientifiques. Or là, il s’agit de mesures très compliquées. On va mesurer les atomes un par un, on sait le faire, on sait même bien le faire. Et on le fait en collaboration avec une équipe chinoise, comme on a fait des collaborations avec les Américains, les Russes ou des Européens. Cela fait partie de notre histoire académique et scientifique. Cette étude du gaz radon devant permettre de comprendre la façon dont respire en quelque sorte le sol lunaire, la façon dont il réagit aux températures extrêmes et dont se construit sa petite pellicule de gaz extraordinairement fine. On a intérêt à le faire maintenant, parce que plus les sondes vont arriver sur la lune, plus on aura une exosphère qui sera fabriquée par l’humain. C’est donc maintenant qu’il faut étudier la Lune dans son origine. 

Cette mission entre dans le cadre de l’ambitieux programme lunaire chinois qui suscite un véritable engouement au sein de la, population. On le voit notamment sur les pas de tirs des fusées...

Les décollages constituent la porte d'entrée du spatial. Lorsqu’une fusée décolle, vous la sentez tellement fort que cela prend aux tripes. Il y a ce son très grave, on tremble quand une fusée quitte le sol. On était sur l’île tropicale d’Hainan pour le lancement et il y avait effectivement beaucoup de public. En Chine, l’aventure spatiale est quelque chose de très populaire. Quand on demande aux enfants chinois ce qu'ils veulent faire, beaucoup disent qu’ils souhaitent être astronautes. En Occident, c’est plus les métiers d’influenceurs ou de footballeurs. Ici on sent un engouement pour l’espace, notamment chez les plus jeunes. L’espace est un vecteur de rêve. Évidemment tout le monde ne sera pas Thomas Pesquet qui a fait un tweet très gentil sur le Dorn. Mais notre but, ce n'est pas de faire des astronautes. On veut des gens passionnés par leur métier et les technologies. Il faut construire des trains, des bateaux, des réseaux téléphoniques. Il y a énormément de technologie dans notre vie et l'espace inspire les vocations.

Et les atterrissages ?

C’est plus rare de voir un objet qui se pose, sachant que 95% d’entre eux restent en orbite autour de la Terre, donc ils ne reviennent pas. Et quand on se pose sur une autre planète, c'est vraiment des cas très rares. J’ai eu la chance de voir une arrivée sur Titan [ndlr l’une des lunes de Saturne], puis sur Mars et là pour la Lune, on était tous complètement excités.

Les ambitions chinoises en matière d’espace sont parfois critiquées. Les États-Unis accusent régulièrement Pékin de dissimuler des objectifs militaires dans ses programmes spatiaux...

Ce sont des aventures technologiques, scientifiques politiques, et aussi c’est vrai il y a un aspect militaire dans la conquête de l’espace. On ne peut pas le nier. Mais pour nous il s’agit d’abord d’aventure scientifique et humaine. On a eu beaucoup de chance sur cette mission, car on a eu les infos en temps réel. Cela montre une certaine confiance. D’habitude, l'agence spatiale chinoise ne communique pas vraiment en temps réel. Elle préfère attendre le succès de la mission avant de communiquer. En fait on travaille avec la Chine, comme avec les États-Unis, l’Inde ou le Japon. Mars et Jupiter, c’est très loin de nos frontières. Il s’agit d’abord de compétition scientifique. On a tous envie d'être les premiers à découvrir quelque chose, donc l’espace c'est un équilibre entre la compétition et la collaboration. Sur ma mission Chang’e-5, la Chine nous a déjà donné des échantillons et on espère en avoir d’autres. Concernant le retour des vols habités vers la lune, on s’aligne davantage sur les Américains, parce qu’on a construit une partie de la station Gateway. D'un point de vue scientifique, je ne peux pas parler pour l'Europe, mais il nous arrive aussi de collaborer avec les Japonais, les Indiens, avec les Russes aussi même si ça s’est calmé depuis la guerre en Ukraine. Mais c’est vrai qu’on entretient de très bonnes relations avec nos amis chinois. Je pense à la lune, avec ce programme Chang’e 1 à 6. Mais aussi à Mars où nous les avons accompagnés sur leur premier rover martien, le Zhurong avec la mission Tianwen 1. On a des programmes d’échanges d’étudiants autour de ce programme par exemple. On pense que la Chine est un partenaire important avec qui on peut faire des projets académiques et on espère que ça va continuer.

L’objectif c’est de décrocher la Lune ensemble, mais c’est surtout la Chine qui a rattrapé son retard ces dernières années ?

Ce qui est intéressant chez les Chinois, c'est la planification. La planification leur a permis deux projeter deux missions orbitales, deux missions « landers » avec des rovers, les fameux Yutu, les « lapins de jade » et deux missions de retour d’échantillons, dont on vient de vivre la deuxième. Et puis il y aura deux missions polaires : Chang’e-7 et Chang’e-8 [ndlr. qui ont pour objectif principal l'étude du pôle sud de la Lune en particulier de ses ressources en glace d'eau]. On discute avec eux pour savoir ce qu'on peut faire ensemble. Enfin il y a les vols habités. Les Américains embarquent les Européens et les Canadiens et pointent 2026. Pour les Chinois, on parle de 2030, mais c’est encore flou. Les Américains restent les leaders. Ils ont réalisé toutes les grandes premières, mais les Chinois avec cette originalité d'aller du côté de la face cachée de la Lune, savent aussi être les Premiers.

L’histoire de la conquête spatiale vit une accélération depuis 4 ou 5 ans, on assiste à une reprise de la course à l’espace notamment en raison des ambitions chinoises...

On a d'abord vu la montée de la Chine qui est devenue à un moment le plus gros lanceur. On a assisté ensuite à une sorte d'emballement avec l'arrivée de SpaceX et un lanceur à bas coût qui permet de lancer encore beaucoup de choses. Il y a eu 200 lancements de fusées l’année dernière, dont 100 rien que pour SpaceX. La Chine vit une mutation, avec aussi de nombreux programmes privés. On ne sait pas dans quelle mesure ces programmes sont soutenus par l’État. Comme certains programmes américains sont sous perfusion de la Nasa, on peut imaginer que pour la Chine c'est la même chose. Dans la conquête de l’espace, on a pour l'instant un duel Chine - États-Unis. Un peu comme on avait avant la compétition entre Russes et Américains. Finalement, l'espace est une sorte de miroir de ce qui se passe sur Terre entre les grandes puissances. 

Est-ce que cette inflation de fusées menace notre environnement extra planétaire ?

Effectivement, les fusées polluent, surtout dans leur construction et leur lancement. Mais c’est aussi l’aventure spatiale qui nous permet de mieux comprendre les dangers qui menacent notre environnement et comment réagir à ces menaces. S’il s’agit de lancer un satellite qui étudie le climat, de rationaliser l’utilisation des engrais, c’est intéressant. L'espace est le premier pourvoyeur des informations dont a besoin le Giec pour ses rapports par exemple. Et puis on a aussi évidemment des choses moins positives. Quand on envoie des touristes dans l’espace, c'est clairement de la pollution. Il faut voir l’espace comme une fenêtre sur notre Terre. Prenons l'exemple des systèmes de géolocalisation : on a un système GPS américain, un système Galileo européen, un système chinois qui s'appellent Baidu, un système russe, indien, japonais etc, et ces systèmes contribuent à optimiser les trajets en voiture et au final, cela nous fait économiser du CO2. Bon, après il y a un aspect de l’aventure spatiale qui est redevenue militaire. On a aussi une petite fraction de l’espace qu'on appelle interplanétaire avec des projets sur la Lune et sur Mars et des télescopes pour regarder l'univers. Ça c'est l'espace scientifique qui doit représenter environ 3 à 4 % des lancements. Et puis il y a les vols habités qui représentent environ 10 % de lancements. C’est important, parce qu’il s’agit de l'espace d'inspiration et c'est un espace incarné. Nous ne vivrons pas sur la Lune, nous ne vivrons pas sur Mars. L'avenir de l'homme, c'est clairement la terre ! Mais quand on peut se projeter ou quand comme le fait Thomas Pesquet, on peut faire rêver les gens et contribuer au progrès de la science, c’est forcément bénéfique à tous. 

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