Finir sa vie à Hammamet, en Tunisie: le choix de retraités occidentaux
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La fin de vie est-elle moins pénible au soleil ? Face aux scandales à répétition dans les Ehpad français, des familles ont décidé de placer leurs anciens dans des établissements du littoral tunisien. Au milieu de vacanciers, ils y coulent de derniers jours que la Méditerranée et une légion de petites mains à leur service espèrent adoucir. Il s’agit aussi de nouveaux débouchés pour l’hôtellerie tunisienne durement impactée par la crise du Covid-19 et le ralentissement des activités touristiques. Ils sont quelques hôteliers à s’être lancés dans cette activité.
Hagard et titubant, un septuagénaire s’avance dans le couloir soutenu aussi énergiquement qu’amicalement par une jeune femme tunisienne. Doucement mais sûrement, les deux compères se rendent à « l'atelier décoration de Noël » du jour. Costume, élancé, le nez rehaussé de lunettes rondes, Alexandre Canabal – PDG de Carthagea – salue le binôme avec déférence. « Ce monsieur est un ancien professeur d’université à La Sorbonne. La jeune femme qui l’accompagne est son aide-soignante personnelle. »
Musique d’ambiance et lumière tamisée, l'hôtel Alhambra de Hammamet s’éveille lentement en ce samedi matin. Dans les couloirs, des couples et des familles tunisiennes de passage côtoient des pensionnaires qui vivent à l’année ici.
Des occidentaux qui ont décidé de finir leur vie en Tunisie
« Nos résidents sont principalement des Français à 80%. Ensuite, nous avons des résidents suisses, un peu moins de 20% et nous commençons à avoir quelques résidents américains. Beaucoup de nos résidents sont atteints d'Alzheimer ou de la maladie de Parkinson », détaille Alexandre Canabal qui nous sert de guide dans les méandres des couloirs de cet établissement.
Lui, l’ancien entrepreneur dans le bâtiment ébranlé par l’entrée dans la maladie d’un de ses amis, a décidé de se dédier à la prise en charge des personnes atteintes de pathologies lourdes. Son constat est simple : alors que la population européenne vieillit à vue d'œil, les chambres d’hôtels tunisiennes restent désespérément vides depuis la révolution qui, en 2011, renversa le dictateur Ben Ali. Il réfléchit alors à une solution qui pourrait s’avérer bénéfique pour tous : permettre aux Européens de couler de paisibles derniers jours sous le soleil de Hammamet.
« Nous occupons actuellement 20 à 25% des chambres disponibles. Aujourd’hui, pouvoir proposer une qualité d’hébergement de quatre étoiles avec un accompagnement dédié, c’est quelque chose de complètement innovant et c’est ce que cherchent les gens maintenant. »
Moyennant 2 700 à 3 000 euros par mois, Alexandre Canabal a réussi à attirer une cinquantaine de résidents – répartis sur deux hôtels – dans cet ancien haut lieu du tourisme tunisien. Il est très fier de ce concept qu'il dit « unique au monde » : « En Europe quand vous entrez dans un Ehpad, vous avez l’impression de pénétrer dans une clinique. Vous remarquerez qu’ici dans les couloirs, ça sent bon. Et sur chaque porte, il y a le nom du résident. Pour les pensionnaires, ça devient leur maison. On a aussi des suites parce qu'on est l’un des rares établissements au monde à permettre à des couples de résider ensemble. »
Accompagnement et surveillance hors normes
Soumaya travaille ici depuis neuf mois. Comme chacune de ses consœurs, elle se dédie aux soins d'une seule personne. Gérard en l'occurrence, un septuagénaire français pour lequel elle s’est prise d’affection. En ce début de journée, sourire aidant, elle tente de lui donner la force d'affronter une nouvelle journée, lui qui semble très diminué et ralenti par la maladie.
« Gérard, tu veux aller manger ? » lui demande-t-elle. « Oui, on peut aller manger » peine-t-il à articuler. Comme pour l'encourager, Soumaya poursuit : « Oh oui, moi aussi j’ai faim ! » avant de détailler leur routine quotidienne. « C’est moi qui le réveille le matin, je l’habille, je m’occupe de lui. Je lui brosse les cheveux, lui arrange sa barbe. On discute, on plaisante, on s’amuse. On appelle sa femme. »
Une présence quotidienne précieuse pour ces personnes séparées de leurs familles par des milliers de kilomètres. Pour tenter de briser la distance, Alexandre Canabal a fait installer des dispositifs de vidéosurveillance dans chacune des chambres. Il est donc possible depuis Paris, Genève ou encore Washington de s’émouvoir en apercevant mamie ou papi qui fait ses mots-croisés ou sa sieste. Dans une cabine dédiée appelée « salle opérationnelle », à l’aide d’un écran disproportionné donnant accès aux images tournées en temps réel dans chacune des chambrées, une employée du groupe scrute le moindre mouvement des pensionnaires. Une vigie rendue possible par l’absence de régulation dans ce domaine contrairement à la France où ce genre de pratiques est prohibé pour des raisons de respect de la vie privée.
Que pensent les principaux intéressés de cette nouvelle vie aux allures de téléréalité ? Regards fixes et hébétés, plusieurs pensionnaires ne sont clairement pas en capacité de donner leur avis. Ciseaux en main, une élégante sexagénaire croisée à l'atelier bricolage semble vouloir s'épancher. Ancienne cadre dans la banque, elle qui souffre de troubles de la mémoire semble pourtant avoir comme un éclair de lucidité : « Les dames de compagnie ici sont parfaites, elles s’occupent très bien de nous et nous apportent le bonheur. Elles sont excellentes, mais légèrement payées. Mais elles doivent se taire pour ne pas avoir de problèmes. »
Une relance économique pour la localité
En retrait, Alexandre Canabal écoute. L’homme à la parole franche confirme ensuite le montant des salaires des aides-soignantes, mais précise aussitôt qu’elles bénéficient d’un treizième et même d’un quatorzième mois. Pour un peu plus de 800 dinars mensuels – soit l’équivalent de 250 euros – le salaire moyen dans le pays, ces jeunes femmes sont la vitrine de l'établissement.
« Les dames de compagnies sont excellentes. Elles nous apportent le bonheur. La mienne a beaucoup de mérite parce que j’ai un sale caractère », poursuit la pensionnaire qui n'a décidément pas sa langue dans sa poche.
Alexandre Canabal, qui emploie aujourd’hui 115 personnes, estime que sa formule pourrait être développée à grande échelle en Tunisie. Après avoir scellé des partenariats avec deux hôtels de Hammamet, il prévoit d'acquérir son propre établissement tout en précisant que si les tracasseries administratives – grand classique de la vie entrepreneuriale en Tunisie – perdurent, il n'hésitera pas à développer son activité chez le concurrent marocain.
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