Le dragonnier de Socotra ne pousse que sur l’île yéménite de Socotra. Un arbre extraordinaire, menacé de disparition par la sécheresse, les cyclones et les animaux d’élevage. C’est son histoire qu’a choisi de raconter le journaliste indépendant Quentin Müller, l’auteur du premier texte d’un magazine original publié en France, La Disparition.
Socotra est une île de rêve dans l’océan Indien, au large du Yémen et d’Oman, classée au patrimoine mondial de l’Unesco en 2008 en raison de ses paysages et de sa biodiversité unique. Socotra abrite un arbre qui ne pousse que sur cette île, un arbre presque magique, au nom déjà magique : l'arbre dragon.
Le journaliste Quentin Müller, spécialiste du Yémen, a attendu six ans avant de pouvoir poser pied à Socotra et voir enfin ce dragonnier. Un périple qu’il décrit dans la première lettre publiée par La Disparition, un bimensuel français disponible uniquement sur abonnement, pour renouer avec la tradition épistolaire, en envoyant par courrier une lettre consacrée à une disparition en cours sur la planète.
« Ça a été une immense émotion pour moi, raconte Quentin Müller quand il se souvient de sa première rencontre avec un dragonnier de Socotra. J’ai demandé au chauffeur qu’on s’arrête, et j’ai juste voulu toucher l’écorce, le branchage tentaculaire qui est totalement incroyable. Je n’avais jamais vu ça sur un autre arbre. C’est un peu un arbre champignon, c’est un ovni. C’est un autre être vivant. Vous vous dites : je suis sur une autre planète, vraiment. »
L’arbre dragon contient 80% d’eau
Dracaena cinnabari est un arbre étonnant, et pas seulement à cause de sa sève, rouge sang, utilisée depuis l’Antiquité comme pigment et en médecine traditionnelle, et récoltée une seule fois dans l’année. Un arbre qu’on ne croise aujourd’hui qu’à Socotra, alors qu’il peuplait les forêts d’Europe il y a 20 millions d’années. Dans le genre Dracaena, il n’a qu’un petit frère aux proches caractéristiques, Dracaena draco, le dragonnier des Canaries, dans l’Atlantique.
Les feuilles de l’arbre dragon ne poussent qu’au bout des plus jeunes branches, et forment comme un parasol – et ici le soleil est de plomb. Un parasol porté, à bout de bras, par les branches les plus vieilles. À l'intérieur : 80% d'eau. Pour résister à la sécheresse, l'arbre fait le plein lors des moussons, mais elles sont de plus en plus rares avec le changement climatique, alors que les tempêtes et les cyclones se multiplient. « Pour vous donner une idée, Socotra était frappée en moyenne par un cyclone tous les vingt ans ; en 2015 il y a en a eu deux ! » Qui ont laissé des traces : des milliers de dragonniers ont été abattus.
« Quand on se rend sur les plateaux de Dixam, poursuit Quentin Müller, la première chose qu’on voit ce sont des arbres évidemment debout, mais aussi des arbres à terre, et ça, c'est triste. On s’est rendu dans une espèce de cimetière d’arbres dragon, et il y en a plein par terre. » Un désastre pour un arbre à la croissance extrêmement lente. Le dragonnier de Socotra n’arbore son houppier spectaculaire qu’une fois atteint l’âge adulte, pas avant 800 à 1 000 ans !
Un refuge de biodiversité
Menacé par le réchauffement climatique, la sécheresse et les cyclones, le dragonnier de Socotra est aussi attaqué par les chèvres ! « Les petits paysans laissent leurs chèvres paître un peu partout dans la montagne, et elles broutent n’importe quoi, tout ce qu’elles peuvent, et notamment les pousses des petits arbres dragon, précise Quentin Müller. Et on ne peut pas demander à ces gens-là d’arrêter ça parce qu’ils perdraient leur revenu. »
Un dilemme que rencontrent fréquemment les défenseurs de l’environnement : comment concilier la protection de la nature et la survie des humains... À Socotra, la population est bien consciente du trésor que son île abrite et une pépinière a été créée, une pouponnière de dragonniers pour repeupler la forêt.
La disparition de l’arbre dragon serait une catastrophe pour la biodiversité de l'île, qui abrite plus de 800 espèces endémiques. « On trouve par exemple un lézard qui ne vit que dans l’écorce de l’arbre. Il y a aussi des oiseaux qui nichent dans le dragonnier et qui se nourrissent de ses fruits. Il est aussi le seul arbre sur l’île capable de produire de l’ombre, de capter les précipitations horizontales, l’eau dans les nuages et dans l’air, et de le garder dans ses feuillages. Donc ça en fait une espèce hyper importante pour l’équilibre de la faune et de la flore socotrie », conclut Quentin Müller. Un seul arbre vous manque, et tout est dépeuplé.
« Leonardo DiCaprio est-il une belle plante ? »
Oui, très certainement… et Uvariopsis dicaprio lui est un bel arbre qui ne pousse que dans la forêt tropicale d’Ebo, au Cameroun. Découvert récemment, il vient d’être baptisé du nom de l’acteur de Titanic, qui s’était engagé pour la défense de la forêt d’Ebo. Les scientifiques qui découvrent une nouvelle espèce sont libres de donner le nom qu’ils souhaitent à leur découverte, après le nom du genre auquel la plante ou l’animal appartient. Ainsi, un scarabée du Costa Rica s’appelle Agra schwarzeneggeri parce que ses pattes rappellent les petits bras musclés d’Arnold Schwarzenegger. Hitler, aussi, a donné son nom à un coléoptère découvert dans les années 30, Anophthalmus hitleri, aujourd’hui menacé parce qu’il est braconné par des néonazis…
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