Pétrole: où vont les méga-profits des compagnies?
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De la finance en titres de ce numéro de Changer d’Air. Pour la première fois, deux pays africains devraient bénéficier de fonds de la part de la Banque africaine de développement pour financer des projets de développement durable. De leur côté, les grandes compagnies pétrolières et gazières continuent d’engranger des bénéfices mirobolants, mais ceux-ci ne sont pas principalement alloués à la transition énergétique.
Des fonds verts pour Cotonou et Abidjan
Le Bénin et la Côte d’Ivoire sont les heureux bénéficiaires du nouveau financement vert de la Banque africaine de développement (BAD), dont l’assemblée annuelle s’ouvre lundi 22 mai à Charm el-Cheikh en Égypte. D'ici l'année prochaine, la BAD prévoit de doter ces deux pays d’une enveloppe de 500 millions de dollars. L'objectif est de permettre aux entrepreneurs de concrétiser des projets qui luttent contre le changement climatique. Car d’après la Banque africaine, les investissements dans la transition écologique sur le continent sont presque infimes, alors que les besoins globaux, eux, se chiffrent eux centaines de milliards de dollars.
La BAD veut donc créer un réseau de banques vertes nationales à travers le continent. « L'objectif, c'est qu'en créant des facilités vertes au sein de banques commerciales existantes ou en dotant les gouvernements de de banques nationales vertes, on commence à inscrire l'investissement vert dans les habitudes d'investissements, explique Audrey-Cynthia Yamadjako, la coordinatrice de cette initiative au sein de la BAD. En créant ces facilités vertes, on apporte également au sein des banques commerciales justement la compétence d'investir dans le vert, de mieux structurer des projets verts et aussi de leur apporter le type de financement qui lui est nécessaire. »
Où va l’argent des hydrocarbures ?
Les neufs principales compagnies pétrolières et gazières se partagent 100 milliards de bénéfices, après impôts, pour le seul premier trimestre 2023 et plus de 420 milliards pour l'année 2022. C’est beaucoup, mais c’est toutefois inférieur aux bénéfices engrangés début 2022, dans le sillage de la guerre en Ukraine qui a fait flamber les prix des énergies.
Ces méga-profits permettent-ils pour autant de financer la transition vers un monde décarboné ? La question sera au cœur de la très attendue assemblée générale des actionnaires de TotalEnergies qui doit se tenir à Paris, le 26 mai prochain. En attendant, nous l’avons posée à Francis Perrin, directeur de recherche à l’Iris et spécialiste des questions énergétiques : « Les compagnies grandes pétrolières utilisent de façon générale leurs bénéfices pour trois destinations essentielles. D’abord, ils récompensent les actionnaires, de deux manières : en augmentant leurs dividendes et en rachetant une partie de ses propres actions, ce qui a pour effet de faire monter le cours des actions encore en circulation. Ce qui est une autre façon de favoriser ses actionnaires. Deuxième destination : les investissements. Une compagnie pétro-gazière qui n’investit pas, se suicide lentement. Sur l’année 2023, la première compagnie privée ExxonMobil devrait investir 23 à 25 milliards, le géant saoudien Aramco, compagnie nationale, pense investir entre 45 et 55 milliards. Avec le temps, les investissements dans ce qui n’est pas hydrocarbures ont tendance à monter en puissance, en termes de montants et de part des investissements globaux de ces entreprises, même si la part de ces investissements bas carbone n’est pas majoritaire. Pour TotalEnergies, on est à peu près à 25% du total des investissements avec une montée en puissance au fur et à mesure que le temps passe. Dernier : racheter une partie de leur dette pour améliorer encore une situation financière qui était déjà très bonne. »
Dans le reste de l’actualité
- Les records climatiques se suivent et se ressemblent
Les quatre prochaines années seront les plus chaudes jamais enregistrées sur Terre. C’est certain à 98 %, selon l’Organisation mondiale de la météorologie. Une chaleur exceptionnelle due à l’effet combiné de l’augmentation des gaz à effet de serre et au phénomène météo El Niño qui confirme son retour pour 2023. Le seuil fatidique des + 1,5°C de réchauffement par rapport au niveau préindustriel devrait donc être franchi d’ici 2027. Et même si ça ne sera que temporaire pour l’instant, il faut s’attendre à des conséquences catastrophiques sur la santé, les migrations et l’environnement. Ce seuil de 1,5°C a été fixé comme objectif à ne pas dépasser par l’ensemble des pays du monde dans l’accord de Paris sur le climat conclu en 2015.
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La moitié des lacs et réservoirs du monde perdent de l’eau
« Les lacs sont en danger au niveau mondial, et cela a de vastes implications », a déclaré à l'AFP Balaji Rajagopalan, professeur à l'université de Colorado Boulder, et co-auteur d'une étude parue cette semaine dans la prestigieuse revue Science. « Ils permettent aux sociétés et à l'humanité de vivre, et pourtant ils ne reçoivent pas le respect qu'ils méritent. »
Les chercheurs ont étudié près de 2000 lacs entre 1992 et 2020. Verdict : la quantité perdue égale la consommation des États-Unis durant l’année 2015. Cette étude est la première à offrir une vue détaillée des tendances au niveau mondial, et des causes des changements observés, grâce aux observations de satellites. L'étude comporte un résultat inattendu: les lacs perdent non seulement de l'eau dans les zones arides, mais également dans les régions humides.
En cause : les températures en hausse, mais aussi une baisse des précipitations ou encore les activités humaines. Un quart de la population mondiale vit à proximité de telles réserve et est donc concerné. Les lacs couvrent environ 3% de la surface terrestre, mais représentent 87% de l'eau douce liquide sur Terre. Ils sont utilisés pour la consommation humaine, l'agriculture, ou encore la production d'électricité.
- Les champignons s'habituent aux fongicides
L'Organisation mondiale de la santé avait alerté pour la première fois en octobre contre leurs effets sur la santé humaine. Des scientifiques en parlent maintenant dans la prestigieuse revue scientifique sous l’angle des ravages sur les cultures. Les auteurs écrivent ainsi que chaque année, entre 10 et 23% des plantations mondiales sont détruites par des champignons, auxquelles s'ajoutent 20% supplémentaires après la récolte. Un désastre face auquel les agriculteurs sont démunis et résignés à utiliser des fongicides de moins en moins efficaces. Les auteurs appellent donc ainsi à la mise en place de nouvelles techniques de plantation et à varier les espèces cultivées pour créer des cultures génétiquement plus résistantes face à cette menace.
- Pisteurs de yachts
Le Festival de Cannes s’est ouvert mardi sur les bords de la Méditerranée avec son tapis rouge, ses stars… et ses yachts. Comme chaque année, une myriade de ces bateaux de luxe a jeté l’ancre dans la baie en face du palais et certains laissent leur moteur tourner au mouillage. Sur Twitter, un collectif de militants, Yacht CO2 Tracker, s’est piqué depuis plusieurs mois de calculer l'empreinte carbone de ces navires très polluants. Ils expliquent leur méthode de calcul dans un fil très détaillé :
Comment on calcule les émissions de CO² des méga yacht: un thread🧵⬇️
— Yacht CO₂ tracker (@YachtCO2tracker) August 10, 2022
Ainsi, près de 70 embarcations en mouillage (hors les gros bateaux au large et ceux de croisières) ont été identifiés, cite par exemple Le Parisien : « Ça fait environ 47 000 litres de carburant consommés par heure, soit à peu près 130 tonnes de CO2 émis. » Toutes les heures, 1,7 tonne de CO2 est émise par les plus gros d’entre eux. C'est presque l'équivalent de deux aller-retours Paris New-York. Mais c'est aussi la quantité qu'un Français (2 tonnes) devrait se contenter d'émettre chaque année pour rester dans les clous de l'Accord de Paris.
Le collectif de militants vise à interpeller l’opinion publique mais surtout les professionnels du Septième Art, dont l’industrie reste très fortement carbonée. Interrogé par nos confrères de France Info, Cyril Dion, qui porte les casquettes de militant écologiste et de réalisateur, a réagi : « On sait bien que ce n'est pas suffisant. Ils vont se dire que les écolos sont des fachos parce qu'ils sont montrés du doigt sur leurs yachts. Et ensuite, c'est bien de dénoncer ce qui ne va pas, mais c'est bien de proposer quelque chose. »
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