Faut-il vraiment ouvrir une nouvelle voie maritime en Arctique?
Publié le :
La Chine inaugure une nouvelle « route de la soie » qui passe par l'Arctique, profitant du dégel provoqué par le réchauffement climatique. Une route commerciale plus courte, mais plus risquée en termes de pollution et de marée noire.
C'est une nouvelle « route de la soie » où il fait froid. La Chine a inauguré aujourd'hui une liaison maritime commerciale régulière entre l'Asie et l'Europe passant par l'Arctique, sur la voie nord-est qui longe les côtes de Russie. Du point de vue de Pékin, c’est forcément une manière d’affirmer un peu plus sa puissance et sa présence sur toutes les mers du globe. Sur le papier, on pourrait aussi se dire que c'est une bonne nouvelle pour le climat : en théorie, les gros navires de commerce devraient consommer moins de fuel, émettre moins de CO2, puisque la route est plus courte, 5 000 kilomètres de moins en longeant la Sibérie par rapport à la route maritime classique qui passe par l’océan Indien et le canal de Suez. Alors oui, c’est peut-être moins de carburant, mais c’est une nouvelle pollution pour ces glaces immaculées. « Ces carburants émettent beaucoup de particules dans l'atmosphère, et ces particules, on les observe dans la glace, témoigne Romain Troublé, le président de la Fondation Tara, qui va naviguer dans l’Arctique, pas pour y faire du commerce mais de la recherche scientifique. Elles se déposent partout et en fait, ces petites particules qui n'ont l'air de rien, quelques millimètres noirs, qu'on appelle le black carbone, attirent la chaleur sur la glace et encouragent la fonte. »
Passer par le pôle Nord plutôt que par l’océan Indien est un vieux rêve que le changement climatique rend de plus en plus tangible. Cette nouvelle Route de la soie où il fait très froid, il y fait moins froid qu’avant… L’Arctique fait partie de ces régions du monde particulièrement exposées au changement climatique. Selon le Giec, les experts scientifiques du climat, l’Arctique se réchauffe 3 à 4 fois plus vite que le reste du monde. Résultat, l’été arctique dure de plus en plus longtemps. C’est en ce moment, en septembre, que la route du Nord n’a plus de glace. Elle est donc navigable, et avec la crise climatique, cette période s’étend, deux ou trois mois par an. À tel point qu’à l’horizon 2030, ou 2040, et c’est presque demain, l’été arctique sera pratiquement sans glace, navigable même en passant par le pôle : une route centrale, encore plus courte.
Marée noire impossible à nettoyer
L'Istanbul Bridge, ce navire parti de Chine à destination du Royaume-Uni, avec près de 5 000 conteneurs à bord, n’est pas le premier à passer par l’océan Arctique. Conquérir les mers, même le plus hostiles, c’est presque aussi vieux que l’humanité. En 1951, les actualités célèbrent une expédition canado-américaine qui « vient de rentrer dans l’histoire » en empruntant la route nord-ouest de l’Arctique, qui longe les côtes canadiennes. Sur la voie nord-est, coté Russie, depuis le milieu des années 2010, on y navigue de plus en plus – le trafic a doublé en 20 ans, ce qui augmente statistiquement les risques d’accidents. « Un jour il y a aura un problème, il y aura une marée noire, une pollution, et là il y a très peu de moyens pour l'endiguer. L'été étant très court, un mois et demi plus tard il fait nuit, il fait moins 25°C, il y a de la glace partout, donc c'est impossible à nettoyer. C'est ça le risque ! », souligne Romain Troublé.
Il y a aussi un risque direct pour la biodiversité. Comme sur toutes les mers du globe, un bateau qui passe, bien souvent c’est un animal qui trépasse. « Ces navires altèrent la biodiversité comme partout dans le monde, relève Romain Troublé de la Fondation Tara. Que ce soit au Sri Lanka ou n'importe où, on voit des bateaux qui passent à 20 nœuds (37km/h) et on voit beaucoup de collisions avec des mammifères et des espèces marines. En Arctique, ce n'est pas différent, sauf que le trafic est aujourd'hui assez limité. » La plus grande menace reste la disparition de la banquise. Que se passera-t-il pour tous ces animaux ? On est aujourd’hui incapable de le dire. On sait que la glace va fondre, mais on ne sait pas ce que vont devenir ceux qui y vivent.
À lire aussiQu'est-ce que l'«Arctic Express», le nouveau pari commercial de Pékin?
NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail
Je m'abonne