Européen de la semaine

Natalia Manzurova, «liquidatrice», survivante de Tchernobyl

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Il y a tout juste 20 ans, le 15 décembre 2000, la centrale nucléaire de Tchernobyl, en Ukraine, fermait, 14 ans après la plus grave catastrophe nucléaire de l'humanité. Plus de 250 000 personnes avaient été évacuées après l'accident de la centrale nucléaire tandis que des milliers de « liquidateurs  et liquidatrices » tentaient de contenir les retombées radioactives. Natalia Manzurova en faisait partie. C’est notre Européenne de la semaine. 

Tchernobyl: le réacteur numéro 4 qui a explosé le 28 avril 1986.
Tchernobyl: le réacteur numéro 4 qui a explosé le 28 avril 1986. Getty
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« Je n’ai pas dormi de la nuit. Je rejoue toutes les scènes dans ma tête. En tant que professionnelle, je sais maintenant quelles erreurs ont été commises. Je repense à ce qui aurait pu être fait différemment, à toutes les personnes qui sont mortes... »

34 ans plus tard, les souvenirs de la catastrophe de Tchernobyl hantent encore Natalia Manzurova. Elle est la seule survivante de son équipe de liquidateurs, chargés entre 1986 et 1991, d'enfouir les déchets radioactifs, sans protection, mais bien payés. Tous sont morts de cancers liés aux radiations. Déclarée invalide à seulement 42 ans, elle a subi depuis une ablation de la thyroïde, une tumeur au cerveau, deux morts cliniques… Sans parler du traumatisme psychologique.

« J’ai oublié ce que c’était de vivre sans souffrir. Tous les jours, à chaque seconde quelque chose me fait mal. Depuis deux ans, quand ma tumeur au cerveau a été découverte, je dors assise, car m’allonger me fait trop mal. »

Issue d’une famille de travailleurs nucléaire, Natalia Manzurova est née en 1951 dans la ville secrète d’Oziorsk, créée dans la course à l'armement nucléaire au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Elle décide de devenir chercheuse dans un institut nucléaire. C’est pour cela qu’elle et ses collègues sont envoyés à Tchernobyl directement après la catastrophe. 

Mais au bout de quatre ans comme liquidatrice, Natalia Manzurova est licenciée car trop souvent hospitalisée. Mère célibataire d’une petite fille, elle décide de ne plus avoir d’enfants car elle risque de donner naissance à un bébé malformé à cause des radiations.

Dans les années 1990, elle crée une association qui défend les victimes de la catastrophe de Tchernobyl. Puis elle s’engage auprès de l’ONG Planète d’Espoir, pour défendre les droits des victimes d’irradiations en Russie. Sa fondatrice, l’avocate Nadezda Kutepova, est réfugiée politique en France depuis 2015, accusée par le gouvernement russe d’être un agent étranger. Pour elle, l’histoire de Natalia Manzurova va bien au-delà de Tchernobyl. 

« C’est l’histoire d’une personne qui a tout fait pour la société, mais que le gouvernement a laissé tomber. Quand un gouvernement ou une industrie a besoin de capital humain, ils recrutent des gens sous couvert de patriotisme. Puis ils les abandonnent, et ces gens restent seuls face à eux-mêmes. » 

Aujourd’hui, Natalia Manzurova reçoit seulement l’équivalent de 100 euros par mois grâce à sa pension d’invalidité. Elle se sent trahie par l’Etat. 

« Je suis partagée entre deux combats. D’un côté, c'était mon travail et je devais être sur place pour apporter mon aide après la catastrophe. Mais j’ai accompli mon devoir envers la société, alors pourquoi on me traite comme ça ? Chez les scientifiques nucléaires, on a une expression quand quelqu'un reçoit de grandes doses de radiations : on dit : " être brûlé". Moi, on m’a brûlée, on m’a utilisée, et on m’a abandonnée. »

À chaque anniversaire de la catastrophe, le 26 avril, Natalia Manzurova faisait le tour des écoles pour prévenir les jeunes des risques du nucléaire. Pour elle, ce n’est pas un combat mais plutôt une sensibilisation.

« Oui le nucléaire c’est l’énergie la plus propre. Mais le nucléaire est aussi imprévisible. C’est comme un monstre qui peut sortir de nulle part et causer beaucoup de dégâts. Et le lobby du nucléaire fait tout pour taire le nombre de victimes, les dégâts faits à la nature, et pour mener sa politique énergétique. » 

Depuis l’an dernier, Natalia Manzurova n’a plus le droit d'enseigner dans les écoles. Mais la femme de 69 ans ne baisse pas les bras. Son nouveau projet : écrire un livre pour honorer tous les héros oubliés de Tchernobyl, sacrifiés pour épargner des millions d'autres vies. 

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