Sadiq Khan, le maire de Londres fragilisé par sa politique anti-pollution
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Il co-préside le C40, la coalition des villes qui veut profiter de la COP28 à Dubaï pour faire avancer la cause environnementale : le maire travailliste de Londres Sadiq Khan s’est imposé comme l’un des plus fervents avocats de la lutte contre la pollution automobile. Mais sa politique environnementale a un prix très lourd : des militants pro-voitures le menacent, à tel point que sa sécurité personnelle a dû être renforcée. Sa réélection l’année prochaine pourrait en être remise en cause.

C’est en 2019 que la Zone de basse émission entre en vigueur dans le centre de Londres. Objectif affiché par le maire de la capitale britannique ? Réduire le nombre de véhicules polluants en circulation et lutter ainsi contre la pollution de l’air. Le principe en est simple : tout véhicule considéré comme non conforme et trop polluant devra payer une taxe de 12 livres sterling par jour, environ 14 euros.
Pour encourager les automobilistes à changer de voiture, une subvention de 2 000 livres (un peu plus de 2 300 euros) est prévue par la mairie. La première ULEZ (Ultra Low Emission Zone) concernait le centre de la capitale britannique, mais l’été dernier Sadiq Khan décide de l’étendre à la grande banlieue et donc à des zones où l’accès aux transports en commun n’est pas évident. La réaction est très violente : l’extension de la zone provoque une tempête politique majeure au Royaume-Uni et un déferlement de haine à l’encontre du maire de Londres.
« En tant que premier maire musulman de Londres, et en tant que fils d’immigrants, Sadiq Khan a toujours été pris à partie très violemment, notamment sur les réseaux sociaux, mais cela a certainement empiré avec sa politique anti-pollution », relève le journaliste Karl Mathieusen, qui a publié sur le site Politico une longue enquête consacrée au maire de Londres et à sa politique environnementale. « Les opposants à la Zone basse émission ont manifesté devant son domicile, en le menaçant alors que ses enfants étaient là. Il s’est fait harceler dans la rue, il a reçu des menaces de mort à tel point qu’il a été obligé de renforcer sa sécurité. Aujourd’hui, il est aussi protégé que le Premier ministre ! »
Un double bouleversement
Sadiq Khan est aujourd’hui reconnu comme l’un des maires les plus en pointe sur la lutte contre la pollution, et pourtant sa prise de conscience environnementale est venue tardivement. Avocat de formation, il s’intéresse d’abord, durant sa carrière, aux questions sociales et aux droits des minorités – mais assez peu à l’écologie, à tel point qu’il acquiert un véhicule tout-terrain pour se déplacer dans les rues de Londres.
Tout change au mitan des années 2010, à la faveur de deux évènements qui vont bouleverser sa vie, et changer son regard sur les questions environnementales. « Il s’est mis à souffrir d’asthme après s’être entraîné pour le marathon de Londres, et il s’est rendu compte de l’impact de la pollution atmosphérique sur la santé, raconte Karl Mathiesen. Ensuite, il a rencontré Rosamund Adoo-Kissi-Debrah, dont la fille est morte à l’âge de 9 ans à la suite d’une crise d’asthme aigüe provoquée par la pollution automobile. Il m’a confié que cette histoire l’avait d’autant plus touché que la petite Ella avait à peu près le même âge que sa propre fille. »
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Élu maire de Londres en 2016, Sadiq Khan va tout faire pour que la mort de la petite Ella soit reconnue officiellement comme ayant été provoquée par la pollution de l’air, une première au Royaume-Uni. Et il va faire de la lutte contre la pollution automobile l’une de ses grandes priorités. Une politique si contestée qu’à l’été dernier, elle provoque la défaite du candidat travailliste lors d’une élection partielle dans la banlieue de Londres – et ce alors que le parti conservateur est en pleine déconfiture.
« À l’origine de cette défaite, il y a l'inflation et le fait qu'effectivement, la politique environnementale de Sadiq Khan a un certain coût, relève l’universitaire Aurélien Antoine, directeur de l’Observatoire du Brexit. Et cette politique a été perçue comme visant des citoyens lambda qui souffrent déjà de la crise économique. C’est un peu la goutte d'eau qui fait déborder le vase, en particulier à Londres, où les augmentations de loyers sont absolument invraisemblables… »
Tourmente politique
La défaite du candidat travailliste dans la circonscription d’Uxbridge, imputée au rejet de la Zone de basse émission, va avoir un impact national immense, avec un recul très net de la cause environnementale. Les travaillistes eux-mêmes reprochent à Sadiq Khan d’avoir maintenu l’extension de la zone, et les conservateurs au pouvoir s’en sont emparés comme d’un épouvantail absolu. « Depuis cette élection partielle, le Premier ministre Rishi Sunak a remis en cause toute une série de politiques environnementales : sur les véhicules électriques, sur les chaudières à gaz, note le journaliste Karl Mathiesen. Et il a accusé les travaillistes de vouloir faire la guerre aux automobilistes. Une grande partie du discours politique est devenu beaucoup plus clivant et, malheureusement pour Sadiq Khan, c’est en partie à cause de sa politique anti-pollution et de la réaction qui a suivi. »
Pris dans une tourmente politique majeure, Sadiq Khan voit sa cote de popularité plonger, mais il assume sa politique, affirmant qu’elle ne remettra pas en cause sa réélection à la mairie de Londres l’année prochaine. Le maire de Londres a beau ne jamais avoir perdu d’élection durant sa carrière politique, le scrutin sera observé avec beaucoup d’attention dans toutes les grandes villes européennes où la lutte contre la pollution automobile est devenu également un enjeu électoral.
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