Tufan Erhürman, un nouvel espoir pour la réunification de Chypre
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Élu avec 62% des voix dimanche 19 octobre à la présidence de la République turque de Chypre-Nord (RTCN), Tufan Erhürman a largement battu le président sortant soutenu par la Turquie. Juriste de formation, le nouveau dirigeant chypriote turc souhaite relancer les négociations avec le Sud et résoudre un conflit enlisé depuis plus de 50 ans.

Les sondages laissaient présager une victoire, mais pas de cette ampleur. Avec 62,7% des voix contre 35,8% à son adversaire, le candidat du Parti turc républicain (centre-gauche) a infligé une cuisante défaite à Ersin Tatar, le président sortant. Âgé de 55 ans, Tufan Erhürman n’avait que trois ans quand la Turquie a lancé l’opération Attila, le 20 juillet 1974, provoquant la partition de l’île. Or, en battant largement le candidat soutenu par la Turquie de Recep Tayyip Erdogan, il relance l’espoir d’une solution négociée et d’une réunification des deux Chypre… « Il a fait ses études dans une université très réputée en Turquie et il est très respecté dans les milieux académiques et juridiques, rappelle Sertaç Sonan, professeur de sciences politiques à l’Université internationale de Chypre. Durant la campagne électorale, il a su rassembler sans polariser les opinions. Sa campagne était très sérieuse, très disciplinée. Avec un message clair : "Nous promettons la respectabilité, l’égalité, la méritocratie". Je dirais que cela a séduit l'ensemble de la communauté chypriote turque, à gauche, mais aussi au centre. »
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Le « ras-le-bol » des électeurs
Tufan Erhürman a aussi bénéficié des erreurs commises par son adversaire, Ersin Tatar ayant résolument rejeté toute idée de négociation avec le Sud durant son mandat, et pris parti pour une solution « à deux États ». « Les partisans d’une solution négociée et de la réconciliation avec le Sud se sont lassés de la politique menée par Ersin Tatar, décrypte Mete Hatay, consultant au centre de recherche PRIO à Nicosie. Et ils ont l’impression que cette politique isolationniste, alignée à 100% sur la Turquie, allait éloigner encore plus les Chypriotes turcs d’une perspective de dialogue international. » Les facteurs internes ont également joué un rôle dans la défaite du président sortant, ajoute la journaliste chypriote Rally Papageorgiou. « Les électeurs en ont eu assez de la corruption, et de la mainmise de la Turquie sur l’économie. La question du voile pour les lycéennes a pesé également… Car la société chypriote turque est attachée à la laïcité et s’inquiète de l’orientation prise par la Turquie sur cette question. Ce qui a aidé enfin Tufan Erhürman c’est la très forte présence des responsables turcs, durant la campagne, auprès de son adversaire : les Turcs chypriotes n’ont pas envie d’être étouffés par la Turquie ! »
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Une « période de grâce » d’un an
Le nouveau président de la RTCN s’est donc affirmé comme un partisan d’une reprise des négociations et d’une solution « fédérative » pour réconcilier les deux Chypre. Mais cette volonté pourra-t-elle aboutir ? Depuis 1974 et l’intervention militaire de la Turquie, de nombreuses tentatives ont lamentablement échoué… et le conflit s’est enlisé sans qu’aucune perspective de solution ne puisse être envisagée. Tufan Erhürman devra composer avec les Chypriotes grecs, qui ont rejeté au début des années 2000, par référendum, un premier projet de fédération. Il lui faudra également convaincre la Turquie, parrain aussi indispensable qu’incontournable. Or, sur ce point, la position inflexible de Recep Tayyip Erdogan pourrait évoluer – c’est du moins l’analyse du politologue Sertaç Sonan. « N’oublions pas que la Turquie était favorable, de 2002 à 2017, aux négociations et à l’idée d’une fédération. Mais tout a changé en 2017, quand les derniers pourparlers ont échoué, en Suisse. Cela s’est produit après la tentative de coup d'État contre Erdogan : il s'est senti lâché par les pays occidentaux et il a adopté une politique étrangère plus agressive. Ensuite, au fil du temps, il a voulu améliorer ses relations avec ses partenaires dans la région et aussi avec les pays occidentaux. Il a rétabli ses relations avec l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et l'Égypte. Il entretient de meilleures relations avec la Grèce. Je pense donc que Chypre est la seule pièce manquante dans ce tableau. »
Signe, peut-être, que le dirigeant turc n’est pas totalement fermé à l’idée d’une reprise du dialogue, sa réaction plutôt positive à la victoire de Tufan Erhürman. Le président turc a félicité le nouveau dirigeant, disant « espérer que ces élections seront bénéfiques pour nos pays et pour nos régions ». De son côté, Tufan Erhürman s’est voulu rassurant à l’égard de la Turquie, et ses premières déclarations en témoignent : « J’exercerai mes responsabilités, notamment en matière de politique étrangère, en concertation avec la Turquie. » Des discussions informelles entre les deux Chypre devraient être organisées sous l’égide de l’ONU d’ici à la fin de l’année. « L’élection de Tufan Erhürman précède la présidence chypriote de l’UE qui doit débuter le 1er janvier, note avec une pointe d’optimisme le chercheur Mete Hatay. Et il y aura sans doute une période de grâce d’un an pour enclencher des négociations sur une base solide… »
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