Corée du Sud: pourquoi autant d’enfants coréens ont-ils été adoptés à l’étranger?
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Deux cent mille Sud-Coréens adoptés à l’étranger depuis 1953. Un record mondial embarrassant pour un petit pays de désormais 52 millions d’habitants. Comment expliquer que, durant plusieurs décennies, la majorité des enfants adoptés à l’étranger aient pour origine la Corée du Sud ? La dixième économie mondiale peine à affronter un passé douloureux. Enquête.

De notre correspondant à Séoul
Bertha et Harry Holt. L’origine de l’adoption en Corée du Sud a une sonorité américaine. En 1955, ce couple fait modifier une loi au Congrès des États-Unis afin d’adopter huit orphelins de la guerre de Corée (1950-1953). Alors que plus de 100 000 Sud-coréens se retrouvent sans parents à l’issue du conflit fratricide qui divise la péninsule, les images de ces enfants émeuvent les foyers outre-Atlantique. La Holt est créée en 1956 et des Sud-Coréens commencent progressivement à être envoyés à l’étranger via cette agence d’adoption. À cette époque, le pays est détruit par la guerre, la pauvreté omniprésente et l’économie nord-coréenne plus fleurissante que celle du Sud. Pourtant, c’est 30 ans plus tard, dans les années 1980, que l’adoption internationale en Corée du Sud atteint son paroxysme.
Un enfant par heure
Durant l’année 1986, près de 9 000 enfants sud-coréens sont envoyés à l’étranger, soit un toutes les heures. Un chiffre impressionnant aux explications variées. À l'époque, seuls les enfants abandonnés ou orphelins étaient éligibles à l’adoption internationale. Dans une Corée du Sud à l’économie balbutiante et aux mœurs conservatrices, de nombreux enfants sont abandonnés. Par manque de moyens pour certains et par pression sociale pour d’autres : les enfants amérasiens (nés de soldats américains et de femmes coréennes) sont mal vus tout comme ceux nés hors mariage, ou d’une mère célibataire. Une spécificité culturelle loin d’expliquer à elle seule l’ampleur du phénomène. « Je ne peux pas croire que des dizaines d’enfants aient été abandonnés chaque jour par leurs parents dans les années 1980 », affirme Lee Kyung-eun, chercheuse en droit international et spécialiste du sujet. Ces dernières années, de nombreux adoptés estiment l’avoir été contre la volonté de leurs parents biologiques.
C’est le cas de Kim Yooree. Cette quarantenaire a été adoptée en France à l’âge de onze ans, elle a ensuite retrouvé ses parents biologiques. « En 1994, mon père me soutient qu’il ne m’a jamais abandonnée et ma mère me disait la même chose, mais je ne les croyais pas. Et puis cet hiver, je suis allée à la mairie afin de consulter le livret de famille de mon père. Là, j’ai vu que j’étais encore officiellement sa fille, avec un numéro d’identité coréen, il n’y avait aucune trace de mon adoption. »
Un cas malheureusement loin d’être isolé, selon Han Boonyoung, elle-même adoptée au Danemark et en cours d’écriture d’une thèse sur le sujet à l’université nationale de Séoul. « Tous les adoptés n’étaient pas des orphelins, le système de l’adoption en Corée du Sud a rendu des enfants orphelins afin qu’ils puissent partir à l’étranger », explique Han. « Le problème central est que, jusqu’en 2011, tout le processus administratif de l’adoption était géré par les agences. » Holt East et les autres agences récupéraient les enfants dans les orphelinats, les hôpitaux ou bien les commissariats et s’occupaient ensuite des procédures administratives sans qu’aucun contrôle de l’État, ou presque, ne soit effectué.
« Dans les années 1970 et 1980, la Corée du Sud n’est pas encore un pays aussi développé et la Holt a pris en charge les questions de l’enfance déshéritée en Corée du Sud. Et l’État sud-coréen s’est satisfait de ce deal », résume Yves Dénéchère, professeur d’histoire contemporaine à l’université d’Angers et spécialiste de l’adoption internationale. À l’époque, Chun Doo-hwan dirige la Corée du Sud d’une main de fer. Sa priorité est de nettoyer les rues de la pauvreté alors que le pays s’apprête à accueillir deux événements sportifs de grande ampleur : les Jeux asiatiques de 1986 et les Jeux olympiques de 1988. Et tous les moyens sont bons. Cette politique de « purification sociale » renforce l’utilisation des centres de bien-être, des véritables camps de concentration où étaient entassés les marginaux de la société sud-coréenne. Les enfants trouvés ou trop pauvres sont envoyés à l’étranger.
« En 1976, le gouvernement sud-coréen a annoncé la décision d’arrêter l’adoption internationale d'ici à 1985. Mais cette décision a été rendue nulle par la volonté du gouvernement militaire de promouvoir l’adoption à partir de 1981 », explique de son côté Kim Ji-yeon, directrice de la division du bien-être enfantin au sein du ministère de la Santé. Du côté des agences d'adoption, on s’accommodait de cette stratégie gouvernementale. « À l'époque, l’adoption internationale était vue comme une action humanitaire, et la question était : qu’est-ce qui est le plus important, respecter les règles ou envoyer les enfants à l’étranger ? », assure un expert qui souhaite rester anonyme.
Volonté politique
Les Jeux olympiques sont aussi le début de la fin, explique Yves Dénèchere. « À ce moment-là, il y a une prise de conscience que ce n’est pas normal qu’un pays qui accède au développement confie l’adoption de ses enfants à un organisme international et envoie autant d’enfants à l’étranger. » Face à la couverture médiatique de la presse étrangère, très critique envers ce système d' « exportation d’enfants », le Pays du matin calme effectue une mue partielle. Le nombre d’adoptions chute considérablement, mais ce n’est qu’en 2011 que les procédures sont réellement renforcées. Néanmoins, malgré les demandes de certains adoptés, aucune enquête n’est prévue par les autorités sud-coréennes. Interrogé sur le sujet, le ministère de la Santé estime « vouloir s’excuser à travers ses actions claires et qu’une excuse insuffisante ou maladroite n’aiderait pas à résoudre ce dossier, mais pourrait même blesser les adoptés ou les personnes concernées. »
Adam Crapser a, lui, porté plainte contre la Holt et l’État sud-coréen. Adopté aux États-Unis, il s’est vu refuser la nationalité américaine à 41 ans, les tribunaux ne reconnaissant pas sa procédure d’adoption. Contraint de revenir dans un pays dont il ne connaissait rien, il estime avoir été la victime d’un système et de ses irrégularités. Un procès historique dont l’issue pourrait soulager des adoptés en quête de vérité.
NDLR : la Holt a refusé de répondre aux questions de RFI.
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