L'Épopée des musiques noires

Sister Rosetta Tharpe défiait-elle l’église afro-américaine?

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Il y a 50 ans, le 9 octobre 1973, disparaissait une pionnière. Sister Rosetta Tharpe avait grandi à l’église mais sa culture gospel dépassait les contours d’une foi pourtant sincère. Son aspiration à sortir du cadre l’incita très tôt à jouer avec d’autres formes d’expression populaires. Armée de sa guitare électrique, elle inventait, sans trop s'en rendre compte, un genre musical qui allait révolutionner le paysage sonore américain et, bientôt, mondial. Elle ne fut, certes, pas la seule mais son apport à « L’épopée des Musiques Noires » est indéniable. 

La chanteuse américaine Sister Rosetta Tharpe en concert au Royaume-Uni, en 1964.
La chanteuse américaine Sister Rosetta Tharpe en concert au Royaume-Uni, en 1964. © Getty Images - Tony Evans/Timelapse Library Ltd
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Sister Rosetta Tharpe naît le 20 mars 1915 dans une petite bourgade de l’Arkansas. Le sud rural des États-Unis est une région où la ségrégation est tristement la norme. La religion est le seul refuge pour nombre de citoyens noirs opprimés. La jeune Rosetta grandit donc dans cet environnement pieux, bercée par les cantiques et spirituals. Sa vie aurait pu se limiter à un quotidien monacal mais sa force de caractère et sa ferveur irrésistible la conduiront sur un autre chemin. Au cœur des années 1920, la communauté africaine-américaine cherche une échappatoire aux brimades et humiliations répétées qu’impose le système discriminatoire sudiste. Au Nord, les opportunités de travail sont plus nombreuses et l’atmosphère moins pesante. Katie Bell Nubin, la mère de Rosetta, se résout à faire le grand pas et s’installe à Chicago avec sa fille. 

Le Volume 7 de l’intégrale Sister Rosetta Tharpe disponible chez Frémeaux & Associés.
Le Volume 7 de l’intégrale Sister Rosetta Tharpe disponible chez Frémeaux & Associés. © Joe Farmer/RFI

Ce nouveau décor et la frénésie de cette ville trépidante marquent la jeune Rosetta qui n’entend pas seulement les prêches de l’église locale mais aussi le blues dans les rues du « South Side », un quartier très animé de Chicago. Cet écho d’une musique profane aura un impact certain sur l’esprit frondeur de la jeune femme. C’est à New York que sa destinée s’accélère. Elle fait des rencontres décisives dans cette mégalopole en pleine ébullition swing. Son aplomb et sa force de persuasion finissent par convaincre Herman Stark, le patron du Cotton Club, qui lui propose de se produire dans ce haut lieu du jazz balbutiant à Big Apple. Sa notoriété s’accroît et les premières sollicitations se multiplient. Ici avec Cab Calloway, là avec Lucky Millinder, les grands orchestres ne se font pas prier pour accueillir cette impétueuse chanteuse et guitariste dont la fougue fascine et interpelle. 

Le livre biographique signé Jean Buzelin (Éditions Ampelos).
Le livre biographique signé Jean Buzelin (Éditions Ampelos). © Joe Farmer/RFI

L’église ne regarde pas d’un bon œil cette ouaille égarée qui se compromet en participant à des représentations très peu spirituelles. Sister Rosetta Tharpe n’a que faire de ces reproches. Sa foi est intacte et, seul, son désir de s’épanouir compte. Ses premiers enregistrements sont d’ailleurs à l’image de son humeur audacieuse. Rock me en 1938 fait sensation. On ne parle pas encore de « Rock’n’Roll » mais ce tempo soutenu surprend et laisse présager une évolution stylistique lorgnant vers le « Rhythm’n’Blues ». Les oreilles chastes sont irritées par cette musicalité que le Seigneur réprouve mais Sister Rosetta Tharpe enfonce le clou en s’illustrant aux côtés du pianiste de Boogie-Woogie, Sammy Price, et de la chanteuse, Marie Knight. Nous sommes au milieu des années 40, la vigueur des musiques afro-américaines n’attend plus qu’une exposition médiatique nationale pour que le rock puisse éclore. Elvis Presley rendra cela possible 10 ans plus tard, mais comment ne pas s’interroger sur la valeur patrimoniale des premiers artisans dont Sister Rosetta Tharpe fut l’un des visages essentiels. 

Jean Buzelin en duplex des studios de France Bleu Provence.
Jean Buzelin en duplex des studios de France Bleu Provence. © Kévin Colloc/Radio France

50 ans après sa disparition, cette femme libre reste un modèle de ténacité et de témérité. Son histoire improbable a fait l’objet de publications diverses, de documentaires, de spectacles musicaux. Notre invité, Jean Buzelin, est l’auteur d’une biographie intitulée « Sister Rosette Tharpe, la femme qui inventa le Rock’n’Roll », aux éditions Ampelos. Il est aussi le maître d’œuvre d’une anthologie en 7 volumes disponible chez Frémeaux & Associés. 

Rosetta, la femme qui inventa le Rock'n'Roll, par Jean Buzelin, éditions Ampelos

Intégrale Sister Rosetta Tharpe, Frémeaux et Associés.

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