L'art de raconter le monde

L’Indochine en toutes lettres et entre les lignes

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À travers les dires et les non-dits de la correspondance entre un officier de la guerre d’Indochine et son épouse restée en Lorraine, Adrien Genoudet exhume les fantômes de l’Histoire et d’une famille. 

Les soldats français franchissent un pont provisoire qui remplace celui détruit par le Viêt-Minh durant la guerre au Vietnam, le 15 novembre 1951.
Les soldats français franchissent un pont provisoire qui remplace celui détruit par le Viêt-Minh durant la guerre au Vietnam, le 15 novembre 1951. © AFP - STF
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L'áo dài est une robe traditionnelle vietnamienne. Et c’est cet objet, retrouvé dans une tombe dans un cimetière de Lorraine, qui est le point de départ du nouveau roman d’Adrien Genoudet : c’est parce que Simone, la fille de la défunte, trouve cette tunique magnifique, qu’elle va l’envoyer – une fois sa mère incinérée – à un de ses amis, le narrateur du roman. Simone accompagne le vêtement d’un vieux carton. À l’intérieur, un paquet de lettres retrouvées au fond d’un placard. L’étiquette qui figure sur le carton porte l’inscription « Nancy-Saïgon » : c’est elle qui donne son titre au livre.

À partir de cette correspondance entre Simone et son mari Paul, le narrateur, reclus dans son studio du quartier asiatique du XIIIe arrondissement de Paris, relate le parcours de ce mari et de cette épouse éloignés de près de 10 000 km par la guerre d’Indochine (1946-1954). 

C’est en 1949 que le lieutenant Paul Sanzach embarque sur le Pasteur, un ancien paquebot de luxe reconverti dans le transport de troupes, gavé de soldats et de munitions. Départ de Marseille, arrivée au cap Saint-Jacques, ville de garnison et point stratégique pour les Français. 

Sur le bateau, le jeune officier remarque un étrange personnage, un gamin de la campagne, cible des brimades, des moqueries et même des coups de ses camarades. Un être dont la jeunesse, la maladresse et l’apparence timorée le touche : à son arrivée, il en fera son ordonnance.

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Les deux hommes et leurs camarades rejoignent le poste de Co May, camp aux allures de hérisson érigé au milieu des rizières. Avec une mission : tenir, quoi qu’il en coûte, face au risque d’attaque du Viêt-Minh. À l’atmosphère lourde et moite du climat s’ajoute la peur de la chaleur, de la dysenterie et des autres maladies, et bien évidemment la peur de la mort, exacerbée lorsque la troupe part en opération au cœur d’une jungle hostile. 

Adrien Genoudet porte un regard sans complaisance sur le comportement de la troupe : la camaraderie virile, lourdingue et de circonstance, les beuveries et les dérives des soldats, shootés à l’opium et contaminés par les maladies vénériennes à force de fréquenter les bordels. Il n’épargne pas au lecteur les horreurs de la guerre : les interrogatoires musclés, les embuscades et les escarmouches, mais aussi la boucherie lorsque les mines explosent ou qu’il faut laisser sur place les cadavres, sans prendre le temps de leur offrir une sépulture décente. 

Ce qui frappe le narrateur – et à travers lui le lecteur – ce sont aussi les mensonges et les non-dits de la correspondance entre Paul et Simone : pour rassurer ou ne pas inquiéter l’autre, mais aussi parfois parce que l’on refuse de voir la vérité en face. Un autre stigmate du passé colonial français en Indochine. 

Nancy-Saïgon, d’Adrien Genoudet (Seuil) 

Adrien Genoudet est écrivain et cinéaste.
Adrien Genoudet est écrivain et cinéaste. © Bénédicte Roscot

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