Jérôme Guedj: «Il y a une sorte de déchéance de rationalité»
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Le député socialiste de l'Essonne dénonce un « jour sans fin » politique, réclame la suspension de la réforme des retraites et acte la rupture avec LFI. Alors que Sébastien Lecornu a été renommé Premier ministre après une semaine chaotique, le député socialiste Jérôme Guedj livre son analyse d'une crise politique qu'il qualifie de « lunaire ». Il est l’invité de l’Atelier Politique au micro de Frédéric Rivière.
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« Une déchéance de rationalité »
Sur la séquence politique actuelle, le constat est sévère : « C'est lunaire. Il y a une sorte de déchéance de rationalité qui perturbe, qui désarçonne et qui écœure l'ensemble de nos concitoyens ». Jérôme Guedj dénonce « une course à gagner du temps, du temps court, sans offrir de vision de long terme ». La re-nomination de Lecornu ? « Le macronisme est un gattopardisme », dit-il en référence au Guépard : « Il faut que tout change pour que rien ne change ».
L'erreur de la dissolution de 2022
Le député socialiste revient sur les racines de la crise : « Dès juin 2022, le président de la République réélu n'a pas de majorité à l'Assemblée nationale. Au lieu d'inciter le pays à l'apprentissage de la culture du compromis, il y a eu le passage en force incarné par les 49.3 sur les budgets, sur la réforme des retraites ».
« Moi, j'ai voté pour Emmanuel Macron en 2022 pour éviter la victoire du Rassemblement national. Ce n'était pas un blanc-seing donné à la totalité de son programme », précise-t-il, évoquant un « déni du sens de son élection ».
Les conditions socialistes : retraites et justice fiscale
Sur les exigences du PS pour ne pas censurer Lecornu, Jérôme Guedj est clair : « Nous attendons d'en savoir plus sur la suspension de la réforme des retraites et sur une plus grande justice fiscale ». Il défend la taxe Zucman : « Je ne suis pas un fétichiste de la taxe Zucman, mais elle a eu le mérite d'irriguer le débat public et de permettre d'avoir un rendement budgétaire qui évite de recourir à des mesures que j'ai qualifiées de dégueulasses ». Parmi ces mesures : « L'année blanche, le doublement des franchises médicales, la fiscalisation des indemnités journalières pour les gens en affection longue durée ».
Trois raisons de suspendre la réforme des retraites
« Cette suspension était nécessaire pour au moins trois raisons », développe-t-il. « La première, il y a un enjeu de réparation démocratique. Cette réforme a été introduite de la pire des manières avec un 49.3, alors qu'il y a eu un mouvement social, une intersyndicale unie, une opposition à l'Assemblée et un soutien dans l'opinion publique ».
Deuxième raison : « Le caractère injuste de cette réforme qui pénalise de manière indifférenciée. » Troisième raison : « Montrer qu'il y a quelque chose qui change ».
Sur les craintes des marchés : « L'OFCE a publié cette semaine une estimation du coût pour l'économie de l'instabilité politique entre douze et 15 milliards d'euros. Ce n'est pas les propositions de la gauche qui instaurent cette instabilité, c'est le flottement politique de ceux qui sont aux responsabilités ».
Carte blanche ou cadenassage ?
Sur la « carte blanche » promise à Lecornu par l'Élysée, le député reste dubitatif : « J'ai du mal à faire l'exégèse des formulations venant de l'Élysée. La vraie carte blanche, c'est de ne pas être tenu par une loyauté exagérée au bilan des sept précédentes années du macronisme ».
La rupture actée avec LFI
« Nous nous sommes singularisés par le fait de formuler des propositions de cette gauche des solutions, d'une gauche crédible », affirme Jérôme Guedj. Il dénonce Jean-Luc Mélenchon : « Le drame depuis juillet 2024, c'est sa déclaration disant "Nous revendiquons l'exercice du pouvoir pour appliquer tout le programme et rien que le programme". Mais on ne peut pas dire ça quand on n'a pas gagné une élection ».
Sur les désaccords de fond : « Il y a une distinction nette sur le rapport à l'exercice du pouvoir, aux responsabilités, mais aussi en termes de valeurs, en termes de rapport à la brutalisation du débat public ».
Il rappelle : « En juillet 2024, j'ai refusé d'être candidat soutenu par la France insoumise parce qu'il y avait eu ces ruptures principielles de valeurs. C'est toujours compliqué d'être lanceur d'alerte un peu avant les autres ».
LFI perd son hégémonie
« Incontestablement, elle s'est auto-sabordée », analyse-t-il. « J'assume mes erreurs. En 2022, j'ai cru à la Nupes. Au lieu de ça, on a eu une stratégie de "conflictualisation" sur tous les sujets ».
Il cite plusieurs ruptures : « Ça avait commencé sur la réforme des retraites, prolongée au moment des émeutes de juillet 2023, et bien sûr ça avait explosé au moment du 7 octobre, avec l'absence d'empathie et l'instrumentalisation du conflit israélo-palestinien ».
Son constat : « Dans ce pays, il y a un espace pour une gauche républicaine, écologique, sociale, qui veut gouverner, qui veut changer la vie des Français mais qui ne cède pas aux sirènes du "demain on rase gratis" ».
Face à la montée du RN
Sur la progression du Rassemblement national crédité de 35-36% dans les sondages, Jérôme Guedj plaide pour « une gauche qui ne transige pas sur la question républicaine et la question sociale, qui marche sur ses deux jambes ».
« Il y a des pans entiers de l'action publique qu'on doit traiter, les questions régaliennes, les questions de sécurité, qui sont au cœur des préoccupations de nos concitoyens. Il n'y a pas de sujets grossiers ».
Sur l'immigration : « Elle doit être traitée comme n'importe quelle politique publique, en évitant le campisme d'un angélisme sans-frontiériste ou d'une stigmatisation de tout ce qui ne serait pas français de souche ».
La proportionnelle
« La Cinquième République n'est pas faite pour absorber cette tripartition », estime-t-il. Mais « c'est un problème de culture politique, celle de la culture du compromis qui manque ».
Sa solution : « Je défends un mode de scrutin proportionnel à l'allemande qui permettrait de concilier la représentation des territoires et une logique qui permet à chacun de présenter ses propositions de manière autonome, puis de construire des compromis après l'élection ».
Gaza : « Double réjouissance »
Sur l'accord de paix : « Je ne cacherai pas ma double réjouissance. D'abord la libération des otages. Pendant deux ans, le monde a admis qu'il peut y avoir des otages. C'est la fin d'une anomalie humaine ».
« La deuxième, ce sera l'arrêt des bombardements à Gaza, le cessez-le-feu qu'on réclame depuis le début parce que la réplique israélienne a changé de nature très rapidement ».
Il salue Donald Trump : « Immanquablement, oui. Je n'ai pas de sympathie pour Donald Trump, j'ai de la détestation pour Benyamin Netanyahu. Mais je constate que le processus va permettre cette libération et le cessez-le-feu ».
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