L'Atelier politique

Bernard Cazeneuve: «10 ans après les attentats du 13 nov. 2015, l'émotion est intacte et profonde»

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À quelques jours du dixième anniversaire des attentats qui ont fait 130 morts et plus de 400 blessés le 13 novembre 2015, Bernard Cazeneuve, qui était ministre de l'Intérieur, livre un témoignage personnel et politique sur ces heures tragiques et leurs conséquences pour la France. Invité de L'Atelier Politique, il répond aux questions de Frédéric Rivière.

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Bernard Cazeneuve.
Bernard Cazeneuve. © RFI
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Une journée entièrement consacrée au terrorisme

Le 13 novembre 2015 commence par un exercice de sécurité. «Le matin, est organisé un exercice concernant les forces de sécurité pour le cas où surviendrait à Paris une tuerie de masse», raconte Bernard Cazeneuve.

L'après-midi, il présente un plan national de lutte contre le trafic d'armes en préfecture des Hauts-de-Seine. Le soir, il décore les fonctionnaires qui ont assisté la policière Clarissa Jean-Philippe lors des attentats de janvier 2015. «C'est une journée qui est tout entière mobilisée et consacrée à la prévention et la lutte contre le terrorisme.»

L'appel de François Hollande

À 20 heures, tout bascule : «Je reçois un coup de fil du président de la République qui est au Stade de France, qui m'a dit qu'il a entendu des explosions.» Quelques minutes plus tard, le préfet de police Michel Cadot confirme : «Il s'agit vraisemblablement d'un acte criminel à caractère terroriste

Sur la route du Stade de France, la situation s'aggrave : «Le préfet de police me rappelle pour m'indiquer que des fusillades sont en cours sur un certain nombre d'axes de la capitale. À ce moment-là, je comprends qu'on est confronté à une opération de grande ampleur destinée à déstabiliser le pays.»

Une course contre la montre

L'ancien ministre reconnaît que la France n'était pas au niveau requis : «Nous n'étions pas au standard dont nous avions besoin.» Les services de police avaient perdu 13 000 emplois, la fusion DST-RG avait «privé le ministère de l'Intérieur de l'instrument de détection des signaux faibles de radicalisation».

«Il y a un décalage entre les décisions que nous prenons et leur mise en œuvre, qui est un décalage incompressible, alors même que nous sommes confrontés à une véritable course contre la montre», explique-t-il.

Un nouveau terrorisme

Bernard Cazeneuve analyse la mutation de la menace : «Nous ne sommes pas du tout confrontés dans les années 2010-2015 au même terrorisme que celui qui avait frappé l'Europe dans les années 80-90.»

Les terroristes de 2015 ? «Des individus qui vivent sur le territoire national, qui peuvent être des voisins, qui se radicalisent par l'intermédiaire d'Internet, partent en Irak et en Syrie ou reçoivent l'endoctrinement de groupes qui appellent à commettre des crimes partout.»

Leur stratégie : «Frapper indifféremment les citoyens partout où ils vivent ensemble, dans un certain art de vivre, pour tenter la fracturation de la société française.»

L'aveuglement de la gauche

Sur la complaisance d'une partie de la gauche, Bernard Cazeneuve est sans détour : «L'aveuglement venait du fait que certains pouvaient considérer que s'intéresser à l'islamisme était une forme d'islamophobie, alors même que c'était l'islamisme qui s'intéressait à nous.»

Il rappelle l'héritage de la gauche : «La gauche a toujours été le parti de l'universalisme, de la liberté d'expression et du refus du communautarisme. Tous ceux qui ont considéré que la lutte contre le totalitarisme qu'est l'islamisme était une forme d'islamophobie ont oublié que les premiers que nous protégeons, ce sont les musulmans eux-mêmes.»

Qui vise-t-il ? «L'extrême gauche», répond-il sans hésiter, dénonçant ceux qui ont considéré «les musulmans comme une clientèle électorale à ramener à eux, pour des raisons cyniques de calcul politique».

Sécurité et libertés : un équilibre fragile

Sur le curseur entre sécurité et libertés, l'ancien Premier ministre défend son bilan : «Le ministère de l'Intérieur n'est pas seulement le ministère de la Sécurité. Le monopole de la contrainte physique légitime ne peut s'exercer démocratiquement que dès lors que le droit vient limiter l'exercice de la force.»

Il détaille les garde-fous mis en place : contrôle administratif renforcé, saisine du juge en référé, contrôle parlementaire permanent, formation spécialisée au Conseil d'État. «Toutes ces réformes visaient à créer les conditions d'un équilibre entre la sécurité qu'il nous fallait renforcer et les libertés auxquelles il ne fallait jamais renoncer.»

La stratégie de la concorde

Face à la volonté des terroristes de fracturer la société, Bernard Cazeneuve estime avoir privilégié l'unité : «Mon obsession, ce n'était pas de faire de ces attentats une occasion de mise en scène, mais d'avoir une parole la plus précise possible, d'être les plus équilibrés possible, d'appeler constamment à la concorde.»

Il raconte : «J'ai fait le tour de beaucoup de lieux de culte. Bien entendu les églises, les synagogues, mais aussi beaucoup les mosquées pour dire à nos compatriotes de confession musulmane que la République avait vocation à prendre tous ses enfants dans ses bras.»

Un pays à la dérive

Sur la situation politique actuelle de la France, le constat est amer : «Nous avons le sentiment que le nouveau monde qu'on nous avait promis se traduit par le retour d'un monde qu'on avait oublié dans ses pires travers, celui de la Quatrième République.»

«Système de partis effondré, tactiques et combinaisons politiques permanentes, discussion parlementaire qui sème un sentiment de honte, situation budgétaire préoccupante face à laquelle on ne tient pas un discours de vérité», énumère-t-il.

Le spectre de 2027

Son inquiétude : «Nous risquons d'avoir la confrontation entre deux dégagismes qui sont deux démagogies funestes pour le pays : l'extrême gauche et l'extrême droite.»

Sa réponse : un rassemblement républicain autour de «la gauche de gouvernement» avec quatre combats : «Affirmation des principes républicains, compatibilité entre efficacité économique et justice sociale, transition écologique sans décroissance, attachement à la démocratie et aux principes de l'état de droit.»

Il annonce une réunion le 16 novembre à Cergy avec Raphaël Glucksmann, François Hollande, Carole Delga et d'autres pour «matérialiser la volonté de parler aux Français et non pas de continuer dans les combinaisons d'appareils».

«Celui qui veut que la France continue»

Bernard Cazeneuve conclut en citant de Gaulle : «Est Français celui qui veut que la France continue. Ça veut dire vouloir qu'elle demeure indépendante et libre de ses choix, universaliste dans l'énoncé de ses valeurs, laïque, sans fracture territoriale.»

«Cette conception de la nation préempte à la fois l'héritage du général de Gaulle et ce que la gauche de gouvernement a toujours porté lorsqu'elle était en responsabilité».

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