Russie: le Kremlin resserre la censure et sature les réseaux de propagande
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Alors que la guerre en Ukraine perdure, l’étau de la censure ne cesse de se resserrer en Russie. Une stratégie mise en place par Vladimir Poutine pour imposer son narratif à l’extérieur comme à l’intérieur de son pays, où la société russe se retrouve mise sous cloche.

La parole en Russie n’a jamais été aussi surveillée et verrouillée que depuis le début de l’invasion de l'Ukraine le 24 février 2022. Une loi adoptée le 4 mars par le parlement russe, la Douma, est devenue le symbole de cette censure. Le texte prévoit jusqu’à 15 ans de prison pour toute personne mettant en doute les informations émanant du gouvernement ou publiant des informations dites « mensongères » sur la situation en Ukraine. L’emploi des termes de « guerre », d’« invasion » ou même d’« offensive » est donc interdit.
Cet amendement empêche toutes remises en question du narratif de Moscou sur cette guerre, maquillée en simple « opération militaire ». Les médias indépendants ne peuvent donc plus exercer correctement leur métier en informant librement la population. « Plus de 140 personnes étaient détenues en vertu de cette nouvelle loi », trois jours seulement après sa mise en application, rapporte l’ONG Amnesty International. Le simple fait d’affirmer l’existence de victimes civiles ukrainiennes est risqué, car ces faits contredisent la version officielle. Des dizaines de journalistes ont donc fui leur patrie en urgence pour continuer à travailler.
La fin des médias indépendants
Dans ce contexte d'oppression, les quelques médias indépendants présents dans le pays préfèrent renoncer à leurs activités. Le 3 mars 2022, la chaîne de télévision Dojd a suspendu son travail et la Radio Echo de Moscou s'est autodissoute sous la pression du Kremlin. Le lundi 28 mars, c’est la Novaïa Gazeta qui s’est arrêtée. Ce journal dirigé par Dmitri Mouratov, prix Nobel de la paix 2021, était un des derniers symboles de résistance.
La censure exercée par le Roskomnadzor, le gendarme russe d'internet, ne s'arrête pas là. Des sites de médias étrangers, comme la BBC, la Deutsche Welle ou Bellingcat ont aussi été rendus inaccessibles. De son côté, le site en russe de RFI est, à ce jour du 1er avril 2022, toujours disponible en Russie. Autre conséquence, de nombreux médias étrangers ont rappelé leur correspondant présent sur le sol russe. Avec cet épuisement de l’offre médiatique, seule la parole officielle circule encore dans l’espace public.
Des réseaux sociaux bloqués…
Il est également difficile pour les Russes de s’informer par le biais des réseaux sociaux puisqu'ils sont aussi pris pour cible. Facebook et Instagram ont ainsi été interdits dans tout le pays le 21 mars, pour cause « d'activité extrémiste ». Twitter est également indisponible. Les Russes doivent donc se contenter du réseau social maison Vkontakte, et de ses concurrents chinois Ok et Wechat, ou de Telegram et WhatsApp. TikTok fonctionne, mais le géant chinois a fait le choix de rendre inaccessible les contenus étrangers et de restreindre la publication de vidéos. YouTube est encore disponible en Russie, mais la plateforme de vidéos en ligne est dans le collimateur du Roskomnadzor. Conséquence, les audiences de son homologue russe RuTubesont sont en hausse.
Ou saturés de propagande
L’espace restant sert à la désinformation du Kremlin. Sur TikTok par exemple, un rapport de l’organisation Tracking Exposed montre que seuls des comptes de propagande russe peuvent encore publier du contenu. Une enquête de Vice révèle aussi que des influenceurs sont payés pour diffuser des messages pro-Kremlin, sur TikTok et Vkontakte notamment. Dans leur vidéo, ils répètent en boucle le même script et utilisent les mêmes hashtags.
La stratégie de Vladimir Poutine consiste d’un côté d'épuiser l’offre informationnelle, et de l’autre de saturer les réseaux de propagande. Les Russes se retrouvent donc déconnectés de ce qu’il se passe réellement en Ukraine.
Pourquoi cette propagande ?
Vladimir Poutine cherche ainsi à faire taire toute potentielle contestation. En amont de l'invasion de l'Ukraine par les troupes russes, il a d’abord cherché à imposer son récit de justification de l’entrée en guerre en s'employant notamment à inverser les rôles, faisant passer l’agressé pour l’agresseur. Maintenant que la guerre s’installe dans la durée, il s’affaire à masquer la réalité de ce qu’il se passe sur le terrain en Ukraine, en minimisant notamment les pertes au sein de son armée. L’objectif de cette désinformation massive est aussi de faire porter la responsabilité des difficultés endurées par son peuple sur l’Ukraine et l’Occident.
Contourner la censure
Internet et le numérique permettent aujourd’hui de passer à travers les mailles de ce blocage des réseaux sociaux et des médias étrangers. De nombreux Russes utilisent des VPN, des réseaux privés virtuels, sur leur téléphone et leur ordinateur, pour contourner cette censure. Ces services, souvent payants, permettent à l'usager de localiser sa connexion internet dans un autre pays, et ainsi d’éviter les restrictions géographiques.
Il est également possible de passer par le dark web, une partie cachée d’internet, pour accéder à du contenu sur lequel le Kremlin ne peut pas avoir la main. La censure russe n’est donc pas totalement infaillible, mais cela demande des connaissances techniques, et des efforts conséquents pour une population déjà soumise à de nombreuses restrictions.
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