Les dessous de l'infox, la chronique

Massacre de Boutcha: la désinformation russe à l’épreuve des faits

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À Boutcha en Ukraine, l’heure est à l’identification des centaines de victimes découvertes une semaine après la libération de la ville par l’armée ukrainienne. Les preuves et les témoignages sur les exactions des soldats russes s’accumulent. Pourtant, Moscou nie en bloc, bien aidé par la désinformation sur les réseaux sociaux.

Plusieurs corps, en tenue de civils, dans une rue de Boutcha, près de Kiev, le 2 avril.
Plusieurs corps, en tenue de civils, dans une rue de Boutcha, près de Kiev, le 2 avril. REUTERS - ZOHRA BENSEMRA
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La thèse d’une mise en scène du massacre perpétré à Boutcha, ville de 37 000 habitants située au nord-ouest de Kiev, continue de se répandre sur les réseaux sociaux. Des dizaines de cadavres jonchant les rues, des fosses communes, ou encore les témoignages de civils, tout ne serait qu’une fabrication de la part du gouvernement ukrainien. Cela aurait pour objectif de justifier de nouvelles sanctions contre la Russie, l’expulsion de centaines de diplomates russes en Europe et de faire capoter les négociations en cours.  

Moscou dicte sa version des faits

Ce narratif est le principal moyen de défense du gouvernement russe qui nie toute implication de son armée dans ces actes de barbarie, potentiels crimes de guerre. Dès dimanche 3 avril, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, parle d’une « mise en scène bien orchestrée », ou encore d’une « falsification monstrueuse ». Il dénonce, tout comme Vladimir Poutine après lui, une « nouvelle provocation » de l’Ukraine. Selon le Kremlin, « la Russie n’a commis aucun crime, aucun civil n’a subi de violence. Pendant la présence russe, les civils se déplaçaient librement dans Boutcha ». « J'accuse les médias occidentaux, et principalement les médias américains, non seulement de propager des fake news et de la désinformation, mais aussi d'être complices du massacre de Boutcha », a renchéri la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, ce mercredi 6 avril.

Cette version, contraire à la réalité, a été automatiquement reprise par  les acteurs traditionnels de la complosphère, et relayée par des médias dits de « réinformation », des voix pro-Poutine et des sites d’ultra droite. 

Plusieurs sites de désinformation affirment que le massacre de Boutcha est une mise en scène des Ukrainiens.
Plusieurs sites de désinformation affirment que le massacre de Boutcha est une mise en scène des Ukrainiens. © Captures d'écran/ Montage RFI

Réécriture des événements

Les autorités russes affirment qu'il n’y avait pas de cadavres dans les rues au moment du retrait de leurs troupes, à partir du 30 mars. Les premières images de victimes ont commencé à circuler le 1er avril, soit après la libération de la ville par les soldats ukrainiens. C’est là-dessus que la Russie s’appuie pour affirmer, soit que des cadavres ont été placés là par des soldats ukrainiens, soit que ces civils ont été tués par les Ukrainiens. 

Pourtant, des images satellites fournies au New York Times par la société Maxar, montrent que les cadavres étaient présents dans cette même rue, dès le 19 mars, sous l’occupation russe. L’emplacement des corps sur ces vues du ciel correspond parfaitement aux photos prises au sol par les journalistes arrivés sur place aux tous premiers jours du mois d’avril.

Ces faits ont également été confirmés par des images de drones que le média russophone indépendant Meduza a authentifiées et diffusées ce jeudi 7 avril.  Les journalistes de Meduza affirment avoir obtenu ces fichiers de combattants présents sur le terrain. Il s’agit d’enregistrements effectués entre les 23 et 30 mars, soit durant l'occupation russe. 

Infox en série

Le 3 avril, les médias pro-russes ont diffusé un montage d’une vidéo du ministère ukrainien de la Défense, censé montrer un cadavre levant la main au passage d’une caméra postée dans une voiture. En réalité, il s’agit de l’effet produit par une tache sur le pare-brise. Le compte Telegram du ministère de la Défense russe a lui-même relayé cette infox, affirmant également que l’on pouvait y voir le corps sur la chaussée se redresser après le passage du véhicule. En réalité, les cadavres ne bougent pas. On peut simplement distinguer la déformation de l’image dans le rétroviseur de la voiture, déformation qui affecte autant l’image du cadavre que de la chaussée. D’autres infox circulent sur une prétendue mise en scène, mais elles ont toutes été invalidées.

Enfin, les témoignages recueillis sur place concordent. Ce sont bien de vrais cadavres, et ce sont bien des soldats russes qui ont commis ces atrocités. 

Propos de Sergueï Matiuk, agent municipal à Boutcha, recueillis par Sami Boukhelifa et Vincent Souriau le 4 avril 2022.
01:33

Témoignage

Conditionnement idéologique

Il est encore trop tôt pour savoir ce qu’il s’est vraiment passé en ce mois de mars 2022 à Boutcha, et dans quelles circonstances le massacre a eu lieu. Ce qui est sûr, c’est qu’il existe un contexte propice à ce type de violences. Le jour où l’on découvrait ces actes, relevant potentiellement du « crime de guerre », l’agence officielle russe Ria Novosti publiait la tribune de Timofei Sergueïtsev, un idéologue russe faisant l’apologie du crime contre les Ukrainiens. Il reprend le terme de dénazification employé par Vladimir Poutine, tout en précisant qu’il faut procéder à un « nettoyage total », visant les « masses populaires » qui seraient des « nazis passifs, des collaborateurs des nazis, également coupables ». Même s’il est difficile de mesurer l’impact de tels discours sur la population russe et sur les hommes de troupe, le fait que ces propos soient diffusés par l’une des plus importantes agences de presse russe, en dit long sur l’entreprise de conditionnement accompagnant l’invasion de l’Ukraine par la Russie. 

D’autres Boutcha ?

Il y a en tout cas d’autres suspicions de crimes de guerre dans des villes occupées d’Ukraine. Reste à savoir à quel point est-ce que tout cela est organisé, et s’il s’agit ou non, d’une stratégie de terreur de l’armée russe.

Les informations qui remontent du terrain, impliquant les soldats russes mais aussi des miliciens du groupe Wagner, sont inquiétantes. Selon Der Spiegel, les services secrets allemands ont intercepté plusieurs échanges radios des troupes russes, prouvant notamment leur rôle dans le massacre de Boutcha. Ils révèlent également qu’un commandant russe présent à Marioupol aurait donné l’ordre à ses hommes de tuer tous les civils.

La Cour pénale internationale (CPI), des ONG comme Human Rights Watch et les autorités ukrainiennes continuent de mener l’enquête sur place.

© RFI

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