Les dessous de l'infox, la chronique

Syrie: la désinformation s'ajoute aux violences subies par la communauté alaouite

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Depuis le 6 mars, il ne se passe pas un jour en Syrie sans que de nouvelles images viennent documenter les exécutions de masses qui ont visé la minorité alaouite. Les ONG estiment que plus d'un millier de civils ont été tués. Certaines images sont d’une rare violence. Mais dans ce flot d’images répandues sur les réseaux sociaux, il y a aussi beaucoup d’infox. Ce mélange de documents authentiques et d’images anciennes accentue la confusion, et alimente les tensions communautaires.

Un flot d'infox combiné à des informations authentiques s'est répandu sur les réseaux sociaux durant les violences contre les alaouites en Syrie.
Un flot d'infox combiné à des informations authentiques s'est répandu sur les réseaux sociaux durant les violences contre les alaouites en Syrie. © capture d'écran X / montage rfi
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Depuis la semaine dernière, la cellule Info Vérif de RFI a passé en revue des dizaines de vidéos. Une nouvelle fois, on a assisté à une véritable guerre de l’information autour des massacres survenus dans les villes et les villages de la côte syrienne et de la montagne dans l'ouest du pays. Ce déchaînement de violence laisse des traces sur les réseaux sociaux. On peut y lire beaucoup de commentaires : des condamnations à propos de la responsabilité des nouvelles autorités de Damas, mais aussi une forme de satisfaction affichée par certains qui tentent de légitimer ces actes de vengeances après quatorze ans de guerre civile, et après cinquante-quatre ans de domination alaouite sous le régime el-Assad, père et fils. 

Ce compte X, dénonce l'attitude d'une partie de la diaspora syrienne qui se réjouit des violences qui ont visé la communauté alaouite.

Dès le vendredi 7 mars, nous avons été confrontés à une multitude de vidéos, provenant de comptes plus au moins fiables. Des images de véritables exécutions sommaires visant la communauté alaouite, parfois combinées à des infox qui ont été relayées et amplifiées par des comptes pro-israéliens, pro-russes ou anti-occidentaux afin de discréditer les nouveaux maîtres de Damas.

Ce compte en langue arabe a passé en revue toute une série d'infox autour des violences visant la communauté alaouite

Ces images choquantes et ces prises de positions ne sont que très peu modérées sur la plateforme X. Certaines vidéos apparaissent régulièrement sur des chaînes Telegram avant de se répandre sur le réseau social d’Elon Musk.

Sur X ce compte anti-occidental reprend à tort l'infox selon laquelle Damas aurait interdit de filmer les exactions.
Sur X ce compte anti-occidental reprend à tort l'infox selon laquelle Damas aurait interdit de filmer les exactions. © capture d'écran X

Désinformation multiforme

Des documents truqués circulent, comme ce faux communiqué attribué à Hayat Tahrir al-Sham (HTS), la formation rebelle qui a pris le pouvoir fin 2024. Un prétendu texte officiel en arabe censé demander aux partisans de HTS de ne plus filmer les exactions dont ils seraient les auteurs. C’est un faux. Vérification faite, il s’agit d’un trucage réalisé à partir d’un communiqué du ministère syrien de la Défense datant du mois dernier. Ce faux a été vu plus de 150 000 fois, rien que sur X.

Ce compte sur X, démontre que le communiqué attribué à HTS est un faux.

Ce document en anglais et en arabe a été truqué en utilisant un ancien communiqué de l'armée syrienne.
Ce document en anglais et en arabe a été truqué en utilisant un ancien communiqué de l'armée syrienne. © capture d'écran X
Sur le faux communiqué du 8 mars et celui du 14 février, on observe des tampons disposés exactement au même endroit et deux signatures en tout point identiques.
Sur le faux communiqué du 8 mars et celui du 14 février, on observe des tampons disposés exactement au même endroit et deux signatures en tout point identiques. © capture d'écran X / montage rfi

On trouve par ailleurs beaucoup d’images sorties de leur contexte afin de tromper le public et attiser les tensions, par exemple, l’image d’un supplicié attaché à une croix et abattu d’une balle en pleine tête. Les auteurs du post affirment que HTS a entamé une campagne d’élimination des chrétiens. Une recherche par image inversée permet d’établir que cette scène d’exécution remonte en réalité à 2015 et ne se déroulait pas sur la côte syrienne, mais dans la Ghouta, près de Damas.

Comme l'explique ce compte X en langue arabe, l'image choquante de cet homme abattu à bout portant, remonte à plusieurs années.

Autre exemple, une rumeur a circulé annonçant la mort d’un haut représentant chrétien de l’Église de Tartous. Démenti formel des autorités religieuses qui assurent qu'elles ne connaissent personne répondant au nom du prêtre cité dans l'infox.

Ce compte sur X annonce la mort d'un haut dirigeant de l'Eglise syrienne. C'est une Infox. La photo et le nom du prêtre ne correspondent pas.
Ce compte sur X annonce la mort d'un haut dirigeant de l'Eglise syrienne. C'est une Infox. La photo et le nom du prêtre ne correspondent pas. © capture d'écran X / montage rfi

Des infox comme celles-ci, il y a en des dizaines sur les réseaux sociaux depuis la semaine dernière. Toutefois, ce constat ne doit pas minimiser la portée des exactions réelles commises ces derniers jours. Les autorités de Damas ont d'ailleurs annoncé la formation d’une « Commission d’enquête indépendante sur les exactions contre les civils, afin d’identifier les responsables et de les traduire en justice ». Les autorités ont communiqué sur l'arrestation d'au moins sept personnes depuis lundi, accusées d'avoir commis des exactions contre des civils, et les ont déférées devant la justice militaire.

Selon ce compte, les auteurs d'une exécution arbitraire filmée ces derniers jours auraient été arrêtés.

Un moment propice aux tentatives de déstabilisation

La désinformation n’est pas nouvelle en Syrie, mais elle n’a pas disparu avec la fin du régime Assad. Selon la plateforme de fact-checking  « Misbar » qui fournit un gros travail de vérification et d’analyse sur le Moyen-Orient, un réseau de comptes suspects, très actifs depuis l'effondrement du régime syrien propagent « des discours de haine et incitent à la violence sectaire en exacerbant les divisions au sein de la société syrienne à un moment critique ». Prudence donc à propos de ce qu'on peut voir, lire ou entendre concernant les évènements en cours en Syrie. 

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