Questions d'environnement

Réchauffement climatique: première cause de déplacement de populations dans le monde

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En 2022, l’Observatoire des situations de déplacement interne a comptabilisé 32,6 millions de personnes forcées de quitter leur foyer. Un record. Les migrants climatiques étaient au cœur des discussions au 14ᵉ sommet du Forum mondial sur la migration et le développement qui s’est tenu la semaine dernière à Genève.

Les inondations record au Bangladesh ont fait des ravages. Environ 7,2 millions de personnes ont été touchées et ont désespérément besoin d'abris et de matériel de secours d'urgence dans la région nord-est du pays. Dhaka au Bangladesh, le 28 juin 2022. (Image d'illustration).
Les inondations record au Bangladesh ont fait des ravages. Environ 7,2 millions de personnes ont été touchées et ont désespérément besoin d'abris et de matériel de secours d'urgence dans la région nord-est du pays. Dhaka au Bangladesh, le 28 juin 2022. (Image d'illustration). © ifrc.org/fr
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Abu Sayeed a trente ans et vit au Bangladesh. Ce pays d'Asie du Sud fait partie des pays les plus vulnérables aux effets du changement climatique. Des cyclones de plus en plus violents, des saisons de mousson déréglées ainsi que la montée des eaux poussent l'eau salée du golfe du Bengale de plus en plus loin dans les fleuves et les centaines de rivières qui traversent ce delta de basse altitude. Avec pour conséquences des inondations dévastatrices et des glissements de terrain.

« Ma maison est entourée d’eau salée »

« Tout autour de ma maison, le paysage est envahi par de l'eau salée. En fait, toute l'eau autour de nous est de l'eau salée », raconte Abu Sayeed qui vit à Kaikhali Union, dans le district de Satkhira, au sud-ouest du Bangladesh. « Désormais, deux fois par an, l'eau salée de l'embouchure du fleuve voisin inonde nos terres. Cela a totalement détruit nos parcelles cultivables. Il n'y a désormais plus aucun emploi ici, plus de travail du tout ! Nous sommes donc obligés de partir ».

Ces dernières années, de très nombreux habitants des régions côtières sont montés vers le nord et la capitale, Dacca, où ils sont plus de six millions à s’entasser dans des bidonvilles.

L’immense majorité des migrants climatiques se déplacent à l’intérieur de leur propre pays

Ce phénomène s’observe dans le monde entier : « Il faut déconstruire ce mythe très répandu au sein des sociétés occidentales selon lequel il y aurait, en raison des impacts de plus en plus intenses du changement climatique, des vagues migratoires massives de populations du sud vers l’Europe ou vers les États-Unis », estime Fanny Petitbon. Selon cette responsable plaidoyer pour l’ONG Care France, les données reflètent en effet une réalité toute autre : « La majorité des personnes qui sont obligées de fuir en raison de catastrophes liées au changement climatique se déplacent à l’intérieur de leur propre pays. Et parmi ceux qui doivent quitter leurs pays, 70 % s’installent dans les pays qui sont voisins des leurs. Parce que ces populations préfèrent rester le plus près possible de leur maison. De plus, elles ont souvent très peu de moyens et ne peuvent pas, de ce fait, voyager sur de longues distances ».

À écouter aussiDéplacés climatiques: «D'ici 2050, environ 218 millions de personnes vont migrer à l'intérieur de leurs frontières»

Les déplacements forcés en raison du changement climatique touchent tous les pays du monde

Comme des centaines de représentants de gouvernement, d’ONG et des sociétés civiles, Fanny Petitbon était la semaine dernière à Genève où s’est tenu du 24 au 26 janvier le 14ᵉ sommet du Forum mondial sur la migration et le développement et où les déplacés climatiques étaient au cœur des débats. Car le problème touche désormais tous les pays du monde. S’il pèse particulièrement lourd sur les régions vulnérables, il n’épargne pas pour autant les États riches. « Des centaines de milliers de personnes ont été déplacées l’année dernière au Canada, par exemple, en raison des immenses incendies de forêt survenus au cours de l’un des étés les plus chauds jamais enregistrés », a rappelé Alexandra Bilak, directrice de l’Observatoire des situations de déplacement interne (IDMC) à la tribune à Genève.

En 2019, Abu Sayeed est parti au Koweït où il a travaillé dans le bâtiment pendant trois ans. « Souvent, au lieu de me payer, mes employeurs me battaient », raconte Abu Sayeed. Sans papiers en règle, la police du Koweït finit par l'arrêter sur un chantier. Après un mois en prison, où il est torturé, le jeune homme est expulsé. 

« Je n’ai pas d’autre choix : je vais devoir partir »

Abu Sayeed est rentré chez lui, au Bangladesh, depuis huit mois maintenant. « Depuis mon retour, toutes les installations d'approvisionnement en eau potable de la région sont hors service », raconte-t-il. « Toute ma famille est touchée par des maladies liées à l'eau. Comme il n'y a plus de travail, je ne gagne rien. Mais sans argent, je ne peux pas payer les médicaments ou les soins dont mes enfants, ma femme et mes parents auraient besoin. Je suis incapable de les protéger ! Donc… Je n'aurai pas d'autre choix : je vais devoir repartir ».  

La Banque mondiale a calculé que le changement climatique pourrait contraindre 216 millions de personnes à migrer à l'intérieur de leur propre pays d'ici à 2050 et que des foyers de migration climatique apparaîtraient dès 2030. Dans des pays vulnérables, comme le Bangladesh, même un changement minime dans l’environnement aura de lourdes conséquences. C’est pourquoi, insiste Fanny Petitbon, chaque dixième de degré compte : « Il est très difficile de prévoir le nombre de personnes qui seront déplacées à l’avenir en raison du changement climatique. Ce chiffre dépend entièrement de deux facteurs : premièrement des efforts des pays industrialisés, responsables historiques du changement climatique, à réduire massivement et à court terme leurs émissions de gaz à effet de serre pour maintenir la hausse des températures en dessous de 1,5 ou 2 degrés au niveau mondial. Et deuxièmement, de l’argent que les pays occidentaux vont mettre sur la table pour aider les pays du Sud à s’adapter aux impacts dont ils ne sont pas responsables ».

Un contexte politique défavorable aux migrants

« Bien évidemment », poursuit Fanny Petitbon de Care France, « il y aura toujours des migrants qui arriveront sur les côtes des pays européens. Le contexte politique, on le sait, ne leur est pas du tout favorable. Mais il nous faut changer de discours à leur égard. Parce que c’est un enjeu de justice, de dette climatique que nous, pays du Nord, avons vers les pays du Sud ».

Quand on lui demande ce qu'il attend des pays occidentaux, responsables historiques du réchauffement planétaire, le Bangladais Abu Sayeed n'a pas à réfléchir. Ses priorités sont claires : « La première chose que devrait faire la communauté internationale c'est de nous garantir l'accès à l'eau potable et à l'eau douce pour cultiver nos terres agricoles. Si on pouvait résoudre le problème de l'eau, ma famille aurait le minimum pour survivre ici pour le moment. Et ensuite, j'aimerais que la communauté internationale facilite la migration pour des personnes comme moi, pour trouver un travail dans un bon pays à l'étranger ».

Selon les scientifiques, 17 % du territoire national bangladais sera submergé par la montée des eaux d'ici 2050.

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