Questions d'environnement

Pourquoi «Les Racines du ciel» de Romain Gary, Goncourt 1956, fut le premier roman écologique français?

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Alors que le prix Goncourt est décerné aujourd'hui à Paris, retour sur un lauréat marquant et son personnage, Morel, qui lutte pour la survie des éléphants d'Afrique dans les dernières années de la colonisation française.  

Couverture du livre « Des racines du ciel » de Romain Gary.
Couverture du livre « Des racines du ciel » de Romain Gary. © capture d'écran/Fnac.com
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« On a bien voulu écrire, depuis la parution de ce livre il y a 24 ans, qu’il était le premier roman “écologique”, le premier appel au secours de notre biosphère menacée. » C’est ainsi que Romain Gary commence en 1982 la préface de la nouvelle édition des Racines du ciel, récompensé en 1956 par le plus prestigieux prix littéraire français, le Goncourt.

Le roman met en scène un personnage qui a déjà compris l'importance de la nature. Il s'appelle Morel, un Français qui détonne en pleine Afrique équatoriale française, à une époque, l’époque coloniale, où Ndjamena, la capitale du Tchad, s'appelle Fort-Lamy. Sur tout le continent africain, plus 30 000 éléphants sont tués chaque année. Morel veut les sauver. 

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« En conflit avec l'espace »

Le personnage de Morel a été inspiré par un épisode de la vie de Romain Gary, en Afrique, pendant la Seconde Guerre mondiale. Son avion s’écrase sur un troupeau d’éléphants. « Je n’étais pas tout à fait tué, raconte Romain Gary dans une interview au journaliste Pierre Dumayet sur l’unique chaine de télé française, en noir et blanc. J’ai vu venir vers moi un Blanc avec un fusil à la main. Je pensais qu’il venait nous aider. Il est venu vers moi et m’a donné un coup de poing dans la figure. Il m’a dit : “Ce n’est pas une façon de traiter les éléphants”. »

Ainsi se dessine le personnage avant-gardiste dont Gary fera son héros ; dans la France des années 1950, personne ne parle de biodiversité ni d’écologie. Or, la lecture des Racines du ciel offre quelques passages prémonitoires : « L’espèce humaine était entrée en conflit avec l'espace, la terre, l’air même qu’il lui faut pour vivre. Les terrains de culture gagneront peu à peu sur les forêts et les routes mordront de plus en plus dans la quiétude des grands troupeaux. Il y aura de moins en moins de place pour les splendeurs de la nature. Dommage. »

« La tragédie de la viande »

Presque 70 ans après sa publication, Les Racines du ciel soulève des questions très actuelles. La défense de la nature ne peut se faire au détriment des populations ; il faut au contraire les associer pour défendre l’environnement. Morel fait ainsi la distinction entre les chasseurs d'éléphants, qui ramènent des trophées et de l’ivoire, et les Africains qui les tuent pour se nourrir. « C'était la tragédie de la viande, du besoin de protéines et d’alimentation carnée : voilà pourquoi la chose la plus urgente à faire (…) était d'élever le niveau de vie des populations africaines. Cela faisait partie de son combat, de sa lutte pour la protection des éléphants. C'était la première chose à faire, si on voulait sauver les géants menacés. »

Mais jusqu'au faut-il aller pour sauver les éléphants et défendre l'environnement ? La question agite aujourd'hui les militants écologistes. Morel, lui a tranché. Il faut être radical – mais pas trop. Dans la même interview télé, juste après la sortie de son roman, Romain Gary évoque « la protection de la nature que Morel entreprend les armes à la main, puisqu’il chasse les chasseurs et qu’il les blesse. Il ne les tue pas parce qu’il dit qu’on n’apprend rien à quelqu’un en le tuant, au contraire, on lui fait tout oublier. » Seulement blesser les chasseurs, pour qu'ils se souviennent pourquoi on leur a tiré dessus. 

« Géants anachroniques »

Évidemment, la manière de faire de Morel ne plait pas à tout le monde et les autorités coloniales partent à ses trousses, dans la brousse (non, on ne vous dira pas si Morel se fait arrêter) alors même qu’il est devenu très populaire dans le monde entier. Sur place, à Fort-Lamy, on l'appelle « ​​l'homme qui voulait changer d'espèce », on le dépeint comme un misanthrope. C'est vrai, Morel n'est jamais aussi heureux qu'au milieu des éléphants, mais quand il se bat pour eux, il se bat aussi pour l'humanité, pour les humains et leur liberté. « Ces géants malhabiles, maladroits, anachroniques, venus d’une autre époque, me rappelaient assez certains droits de la personne humaine que l’on considère malheureusement parfois aussi anachroniques, aussi maladroits et aussi gênants, dit-on, pour la marche du progrès que les éléphants », expliquait encore Romain Gary en 1956.

Les Racines du ciel est un chant d’amour à la vie et aux éléphants. Alors, comme le conseille Morel, « quand vous n'en pouvez plus, faites comme moi, pensez à des troupeaux d'éléphants en liberté en train de courir à travers l'Afrique, des centaines et des centaines de bêtes magnifiques auxquelles rien ne résiste, (…) suivez-les du regard, accrochez-vous à eux, dans leur course, vous verrez, ça ira tout de suite mieux. » Pensez aux éléphants, et lisez Les Racines du ciel. Lisez, vous verrez, ça ira tout de suite mieux.

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