Trois audiences se tiendront devant la Cour d'appel de Paris dans trois dossiers portant sur le devoir de vigilance. Dans une première affaire, des associations ont assigné TotalEnergies pour forcer la major à s'aligner sur l'accord de Paris. Un autre dossier concerne un projet éolien d'EDF au Mexique. Ces entreprises sont donc attaquées au nom du devoir de vigilance.

Le concept a émergé pour combler un vide juridique et, depuis quelques décennies, l'idée de combler ce vide a fait son chemin. La catastrophe du Rana Plaza a servi de déclencheur en France. En 2017, quelques années après l'effondrement de cette usine qui fabriquait des vêtements pour des marques occidentales, le Parlement a adopté une loi « qui crée une obligation pour certaines entreprises françaises de respecter les droits humains, l'environnement, les libertés fondamentales et la santé dans le cadre de leurs activités en France, mais aussi de leurs activités à l'étranger, et de celles de leurs sous-traitants, de leurs fournisseurs et de leurs filiales contrôlées », résume Cannelle Lavite de l'ECCHR,le Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits humains, l'une des associations requérantes.
Bilan mitigé
Cette « loi est en soi une grosse avancée », juge Justine Ripoll, responsable de campagne de Notre Affaire à tous qui assigne TotalEnergies. Mais elle en dresse un bilan mitigé. « Le gouvernement n'a jamais publié de décret d'application » pour préciser « comment cette loi devait concrètement s'appliquer ». Par ailleurs, « si l'on regarde comment cela a été appliqué par les entreprises, aujourd'hui, beaucoup d'entreprises publient un plan de vigilance. Toutes ne le font pas. Et pour celles qui le publient, en majorité, les plans de vigilance ne sont pas du tout satisfaisants... La première obligation, c'est de mettre dans un rapport une cartographie des risques et de mettre en place un plan pour lutter contre ces risques. Même cet effort de transparence n'est pas rempli pour la plupart des entreprises ». Insatisfaction également de Juliette Ripoll sur l'étape d'après : « aujourd'hui, les mesures pour faire en sorte que le Rana Plaza, par exemple, n'arrive plus jamais, ne sont ni à la hauteur, ni présentes dans la plupart des plans de vigilance ».
Le projet cale au niveau européen
En cas de manquement, l'entreprise peut être condamnée à réparer les préjudices. Le tribunal peut ordonner l'exécution de sa décision sous astreinte, forçant ainsi la multinationale à verser une somme d'argent tant qu'elle ne se met pas en conformité.
Le devoir de vigilance est aujourd'hui discuté bien au-delà de l'hexagone, non sans difficultés. L'Union européenne planche sur un texte. Il tiendrait pour juridiquement responsable les groupes européens de plus de 500 salariés et enregistrant un chiffre d'affaires mondial net de 150 millions d'euros ou des entreprises plus petites, mais très impliquées dans des secteurs à risques comme les forêts, l'agriculture ou les minerais. Un accord politique entre le Parlement européen et les États membres a été trouvé en décembre. Mais, l'Allemagne, l'Italie et une dizaine d'autres pays se sont finalement abstenus la semaine dernière lors d'un vote qui ne devait être qu'une formalité. L'accord n'est donc toujours pas validé.
Des discussions se tiennent également au niveau des Nations unies. Des négociations ont été ouvertes en 2015 en vue d'un Traité international sur les entreprises et les droits de l'homme, qui irait au-delà de ce que contient la loi française sur le devoir de vigilance. Cela pourrait permettre de sortir des dossiers de l'impasse, espère Juliette Renaud, coordinatrices aux Amis de la Terre, à l'instar de la « pollution provoquée par le pétrolier Chevron en Équateur ». Et de préciser : « cela fait des années que les Équatoriens essayent d'obliger Chevron à payer les milliards d'euros auxquels il a été condamné par les tribunaux équatoriens. Ce que permettrait ce traité, par exemple, c'est une coopération internationale entre les États pour faire respecter des décisions de justice. Cela permettrait aussi par exemple de pouvoir ouvrir des procès contre Chevron dans d'autres pays où il a des actifs financiers qui pourraient être saisis ».
Mais, les négociations annuelles patinent. « L'Union européenne n'a toujours pas de mandat pour négocier et dans le même temps, elle ne laisse pas les États membres négocier de leur côté », regrette Juliette Renaud. D'autre part, du côté des pays du Sud, « il y a eu des changements de pouvoir d'un côté ou d'un autre. » Les positions sur les négociations changent au passage.
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