Quels sont les effets du tourisme de masse sur l’environnement?
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De plus en plus d’Européens passent leurs vacances en Croatie. L'entrée du pays dans la zone Schengen et l'arrivée de l'euro ont encore accéléré cette tendance. Entre janvier et août 2023, plus de 16 millions de touristes se massaient en Croatie, alors que ce pays des Balkans ne compte à peine 4 millions d’habitants. Et justement, les Croates, bien que largement dépendant de cette source de revenus, se sentent écrasés par le tourisme de masse qui a de lourdes conséquences sur l’environnement.

Dimanche midi sur la terrasse d'un restaurant à Pula. Vera avale un dernier café avant de partir pour la plage. En ce mois de mai, le célèbre littoral d'Istrie, magnifique péninsule dans la mer Adriatique, n'est pas encore envahi de touristes ; et cette Croate veut en profiter pour piquer une tête dans l’eau encore fraîche. « Entre le 15 juin et le 15 août, je ne vais plus nager dans la mer », confie cette quadragénaire, les yeux cachés derrières d’imposantes lunettes de soleil. « Durant la haute saison, tout flotte à la surface : le papier toilette, les excréments. Les croisières vident leurs sanitaires dans la mer. C'est interdit mais ça leur coûte moins cher. Et puis toutes les maisons ici sont bondées de touristes. Or les canalisations de ces vieilles maisons ne sont pas connectées au système public. Les eaux usées vont directement dans la mer ».
Flore et faune marines menacées par les eaux usées
« Certaines villes de la côte ouest d'Istrie, comme Poreč ou Rovinj, qui sont de hauts lieux touristiques, parviennent à moderniser leurs canalisations afin d'améliorer la gestion des eaux usées », assure Neven Iveša, enseignant à l'université de Pula, avant de poursuivre : « C'est positif. Mais c'est trop lent. L'amélioration des infrastructures ne suit pas le rythme d'arrivée de ces hordes de gens qui débarquent du monde entier. Je ne vois pas, comment les arrêter. Et ceci n'a rien de durable ». Ce chercheur en biologie marine et ses collègues étudient, entre autres, les effets des eaux usées sur la flore et faune de l’Adriatique. « Les détergents contenus dans les eaux usées provoquent un recul de la flore marine. Certaines espèces d’herbier marin ont disparu de la côte ouest d’Istrie. Par exemple posidonia oceanica, une espèce endémique d’herbier marin de la Méditerranée. Or posidonia est une plante qui produit de l’oxygène, purifie l’eau et constitue l’habitat de nombreuses autres espèces. Donc moins de posidonia égal moins de biodiversité ».

Des plages rocheuses « déguisées » en plages de sable
Mais le long du littoral, les villes et villages se plient en quatre pour accueillir toujours plus de touristes. De nombreuses municipalités ont recouvert leurs célèbres plages rocheuses avec des petits graviers blancs issus de chantiers de construction : une simulation de sable censée faciliter l'accès des visiteurs étrangers à la mer, mais qui détruit entièrement sur chaque mètre recouvert l'habitat naturel de nombreuses espèces.

Autre problème : le tourisme nautique. D'ici 2050, le nombre de bateaux devrait être multiplié par cinq sur la côte croate. Or les coques des bateaux apportent des espèces invasives, « comme le Mnemiopss leidyi par exemple », alerte Neven Iveša. « C’est un cténophore, un petit organisme prédateur qui ressemble un peu à une méduse. Il détruit l’écosystème local, parce qu’il mange tout le plancton et le zooplancton. Toute espèce invasive sans prédateur naturel cause d’énormes problèmes dans l’environnement ».
Mobilisation citoyenne contre les constructions d'hôtels et de marinas
Ces dernières années, des citoyens se sont battus contre des constructions de nouvelles marinas. Un référendum contre la construction d'un complexe hôtelier, qui aurait nécessité la déforestation d'un bois protégé, a mobilisé l'an dernier plus de votants que les dernières élections municipales. Ces mobilisations citoyennes sont soutenues et accompagnées par Zelena Istra, la principale organisation environnementale en Istrie.

« La situation est complètement hors de contrôle. De plus en plus d'appartements et d'hôtels sont construits. Et nous perdons notre nature et notre littoral », s’alarme Irena Burba qui dirige cette ONG. « Les autorités croates n’ont pas de stratégie qui tienne la route. La seule stratégie, c'est de gagner plus d'argent qui va dans les poches de quelques investisseurs étrangers avec lesquels nos élus entretiennent des liens étroits. Parce que dans notre pays, la corruption et le népotisme sont très élevés ». Pour Irena Burba, il est primordial de « fixer un nombre limite de touristes présents en même moment. Et une fois qu'on aura déterminé ce chiffre, il faut arrêter les constructions ».
L'artificialisation des surfaces met en péril les écosystèmes locaux
Un point de vue que partage le biologiste marin, Neven Iveša : toute cette frénésie de bâtir de nouveaux logements pour les touristes, « c’est trop. La région d’Istrie est une petite région sans beaucoup de place. Quand on gagne de l’espace sur la nature pour y couler du béton, on perd des surfaces actives de biotopes naturels. Et qui dit moins de biotopes naturels, dit moins de résilience de nos écosystèmes locaux face aux effets du changement climatique, face aux maladies. Je pense sincèrement que nous nous enfonçons dans un abime sans issue ».
Pénuries d'eau en cas de sécheresses et de trop forte demande des touristes

Une limite, c'est aussi ce que réclame Ivan Zubovič. « Nous avons des problèmes d'eau », raconte cet apiculteur qui vit dans le petit village pittoresque de Fažana. La pénurie d’eau « survient durant les années de sécheresses, et surtout en été, quand la demande en eau des foules de touristes est beaucoup trop élevée. Dans ce cas, l'eau est rationnée. On ne peut plus arroser nos plantes ou nos potagers ». À l’ombre d’une vigne sauvage, Ivan boit une gorgée de café, son regard posé sur la petite ruelle paisible devant sa maison ancienne de Fažana. « Je suis très inquiet pour l'environnement », dit-il d’une voix à peine audible. « Chaque endroit a ses limites. Mais personne ne fait d'études pour savoir combien de personnes, nous pouvons absorber ici. Nous vendons le soleil, la mer et nos paysages aux touristes. Mais pour combien de temps encore » ?
À partir de 2025, le gouvernement croate veut instaurer une taxe touristique. Elle doit permettre d'investir davantage dans la protection de l'environnement.

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