Le Sénégal a-t-il raison de parier sur le gaz naturel liquéfié pour se développer?
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Le pays d'Afrique de l'Ouest est devenu producteur de pétrole au mois de juin et il compte démarrer l'exploitation d'un important gisement de gaz naturel en mer d'ici la fin de l'année. Objectif : doper sa croissance en exportant ses hydrocarbures et renforcer sa sécurité énergétique. Mais le pari est risqué, prévient l'Institut International du Développement Durable dans une étude récente.

L'économie du Sénégal est diversifiée - pêche, agriculture, tourisme, industrie - mais la pandémie puis la guerre en Ukraine l'ont secouée. Le déficit public et l'endettement se creusent et le chômage touche plus de 20% de la population. Le gaz est donc vu par les autorités comme une potentielle source de nouveaux revenus. D'autant que depuis l'invasion de l'Ukraine et la décision de l'Union européenne de se passer du gaz russe, les pays du Vieux continent sont avides de nouveaux fournisseurs.
Alors pourquoi ce pari serait-il risqué ? Parce que le gaz naturel liquéfié (GNL) sénégalais risque d'arriver tard sur le marché, estiment les experts de l'Institut International de Développement Durable (IISD en anglais). Ce groupe de réflexion basé au Canada travaille sur la transition énergétique nécessaire pour respecter l'Accord de Paris sur le climat. Pour Olivier Bois von Kursk, chargé des questions d'énergie au sein de l'IISD, les nouveaux projets de GNL sénégalais mettront huit à dix ans à être complètement opérationnels. Or, « l'Agence internationale de l'énergie prévoit déjà un pic dans la demande de gaz en Europe d'ici 2025, ce qui pourrait faire en sorte que les prix du GNL exporté du Sénégal soient beaucoup plus bas que ce à quoi on peut s'attendre aujourd'hui », souligne-t-il. Et si le monde tient ses engagements de limiter le réchauffement à +1,5°, l'Agence Internationale de l'Energie table sur une chute de la demande mondiale en gaz et en pétrole d'ici à 2050.
Le risque d’« actifs échoués »
Deuxième risque pour le GNL sénégalais : une concurrence accrue. De nombreux pays se sont jetés dans la course mondiale à la production de gaz. « Si on regarde le Nigeria, la Norvège, l'Algérie, la Russie, les États-Unis, le Canada, le Qatar, l'Iran ou encore l'Arabie saoudite, tous sont des grands producteurs du gaz et de GNL qui ont des coûts de production bien en deçà de ceux du Sénégal, donc si on commence à apercevoir une baisse du prix de marché, les gisements sénégalais vont être les premiers à être non compétitifs », affirme Olivier Bois von Kursk. Et pour le moment, ce sont surtout les États-Unis, qui ont développé la fracturation hydraulique, qui « profitent du boom du GNL ».
Le danger alors : que le Sénégal se retrouve avec ce qu'on appelle des « actifs échoués », c'est-à-dire des champs gaziers qui ne sont plus rentables. Les auteurs de l'étude alertent aussi sur le fait que pour pouvoir utiliser, sur les terres sénégalaises, ce gaz extrait en mer, le pays aura besoin d'investissements considérables - pour construire des gazoducs ou convertir des centrales notamment. Des investissements qui pourraient l'enfermer dans une dépendance aux hydrocarbures alors que le monde a fait son virage de décarbonation.
Quelle serait l'alternative ? Le groupe de réflexion préconise de mettre davantage l'accent sur les énergies renouvelables - solaire et éolien. Des énergies moins risquées à long terme, selon lui, et meilleures pour le climat alors que le Sénégal est déjà frappé par plusieurs effets du changement climatique. Pour n'en citer que deux: la sécheresse qui accable l'agriculture dont dépend la moitié des foyers du pays, et la montée des eaux, qui menace villes et industries concentrées sur le littoral.
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