Questions d'environnement

La géo-ingénierie solaire: un pari risqué pour le climat de notre planète surchauffée

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La planète est en surchauffe, partout les conséquences du changement climatique frappent de manière exponentielle. Alors, pour y faire face, des techniques de géo-ingénierie sont de plus en plus souvent mises en avant. Ces techniques visent à modifier le climat planétaire mais leurs promoteurs sont accusés de jouer aux apprentis sorciers et d’oublier l’objectif de réduire les émissions de gaz à effet de serre.

La planète est en surchauffe, partout les conséquences du changement climatique frappent de manière exponentielle. Alors pour y faire face, des techniques de géo-ingénierie sont de plus en plus souvent mises en avant.
La planète est en surchauffe, partout les conséquences du changement climatique frappent de manière exponentielle. Alors pour y faire face, des techniques de géo-ingénierie sont de plus en plus souvent mises en avant. Getty Images/Science Photo Libra - SCIEPRO/SCIENCE PHOTO LIBRARY
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Des laboratoires de recherche aux tests grandeur nature, les idées fusent pour tenter de contrer les effets du changement climatique. Certaines techniques de géo-ingénierie solaire, visent à modifier à grande échelle le climat de la planète, pour la refroidir artificiellement.

Plusieurs projets très variés ont déjà vu le jour comme par exemple la diffusion de particules de soufre très haut dans l'atmosphère. Ces particules ont un effet réfléchissant, elles vont renvoyer les rayons du soleil dans l'espace avant qu'ils ne viennent réchauffer la Terre.

C’est le principe du projet ScoPex (Stratospheric Controlled Perturbation Experiment) de l’université de Harvard aux États-Unis notamment, qui a été annulé en raison de l’opposition de groupes environnementaux et des populations autochtones qui vivent sous le ciel où devaient être larguées les particules de soufre.

Conséquences en cascade

Autre exemple : l'éclaircissement de nuages marins. Une technique qui vise à diffuser du sel dans les nuages pour qu'ils renvoient mieux, eux aussi, les rayons de soleil. Un autre projet était de remplacer la banquise qui a déjà fondu par une couche de petites billes en verre pour, là aussi, réfléchir les rayons et empêcher le réchauffement de l’océan arctique. « Il aurait fallu disperser 360 millions de tonnes de ces billes de verre chaque année, c’est le même ordre de grandeur que la production de plastique dans le monde chaque année ! » dénonce la glaciologue Heidi Sevestre. Comme la plupart des scientifiques, elle met en garde contre les risques qui accompagnent ces projets et qui ne sont souvent pas bien compris et pris en compte.

En effet, diffuser des millions de tonnes de soufre dans l’atmosphère pourrait bien diminuer temporairement la température du globe, mais les scientifiques alertent également sur un risque de pluies acides, de pollution des sols et des eaux avec des conséquences sur la santé, l'environnement, l'agriculture et donc notre alimentation. Les expériences réalisées avec les billes de verre, elles, ont contaminé la chaîne alimentaire locale. « La banquise n'est pas juste un miroir. Ce sont des écosystèmes sur lesquels reposent une grande partie du vivant : le plancton, les poissons... et ce sont aussi des régions habitées. Il y a sept millions d'habitants dans l'arctique. On en fait quoi ? on leur demande la permission ? Ces techniques pourraient avoir des conséquences irréversibles sur l‘environnement, alors si ça ne marche pas qui va payer ? » s’insurge Heidi Sevestre.

En jouant avec le fonctionnement du climat le risque est aussi de provoquer des réactions en chaîne et perturber les vents, les courants marins, les pluies et leur répartition... avec à la clé de possibles catastrophes climatiques.

Risque de conflits géopolitiques

Une étude publiée en 2023 dans la revue Geophysical Review Letters estimait ainsi que si on utilisait la technique d’éclaircissement sur les nuages marins du sud-est de l’océan Pacifique par exemple, cela provoquerait des pluies diluviennes en Australie, au Sahel et en Inde, alors que l’Indonésie, le Brésil, ou la République démocratique du Congo, entre autres, feraient face à un déficit de précipitations.

Marine de Guglielmo Weber chercheuse à l'Institut de recherche stratégique de l'École militaire (Irsem) alerte donc aussi sur un risque de conflit géopolitique. Pour l’instant les techniques de géo-ingénierie restent expérimentales, mais d’autres procédés de modifications de la météo déjà utilisées à grande échelle donnent un aperçu des tensions qui pourraient subvenir.

La Chine a par exemple déployé un gigantesque réseau de milliers de brûleurs sur le plateau tibétain. Ces brûleurs diffusent dans l’atmosphère de l’iodure d’argent, des molécules qui permettent d’agréger l’humidité et former des gouttes d’eau. En d’autres termes, la Chine fait pleuvoir selon ses besoins et ça n'est pas du goût de l'Inde, son voisin. « Le plateau tibétain est déjà une région contestée sur le plan territorial, mais c’est aussi la source de la plupart des ressources en eau de l’Inde notamment » rappelle la chercheuse. « Certains responsables politiques indiens estiment que ces techniques induisent parfois des inondations, parfois des sécheresses sur leur territoire. C’est aussi dans une certaine mesure qui peut être qualifié d’accaparement des ressources hydriques », explique Marine de Guglielmo Weber. Les tensions dépassent désormais le cadre diplomatique, « le ministre de la Défense indien a déjà réagi, cela devient un sujet de sécurité nationale ».

Lobbying de riches philanthropes

Malgré ces risques et le scepticisme sur l’efficacité réelle de la géo-ingénierie, ces techniques ont le vent en poupe. Même si la grande majorité des militants d'ONG ou de scientifiques restent méfiants, certains, poussés par l'urgence climatique et dépités par le manque d’engagement des dirigeants politiques, certains commencent à envisager ou à soutenir ces techniques pour éviter l’irréparable et nous laisser plus de temps pour passer à l’action.

« C'est dû à un lobbying très actif qui a fini par faire circuler même dans les cercles militants écolos et parmi de grands scientifiques l’idée que c’est peut-être notre dernière chance, » assure Marine de Guglielmo Weber. Ces lobbys sont liés à des entreprises qui ont des intérêts financiers à développer la géo-ingénierie. La plupart sont aux États-Unis et sont soutenues par de grands philanthropes et de riches businessmen, comme Bill Gates.

La géo-ingénierie fait miroiter un monde où l'on pourrait continuer à exploiter et polluer et puis changer la planète pour nous arranger. « Mais ce ne sont pas ces techniques qui vont régler le problème du changement climatique, souligne Heidi Sevestre. « À la fin qui va payer ? Qui sera vraiment avantagé par ces procédés ? Et qui va contrôler tout cela ? Que va-t-il se passer si un projet s’arrête en cas de crise économique ou géopolitique ? Le climat va se remettre au niveau des concentrations de CO2 qui restent présentes dans l’atmosphère et la température augmentera de plusieurs degrés en quelques années ».

Appel à un moratoire international

Les questions restent nombreuses alors que la géo-ingénierie accapare beaucoup d’argent qui pourrait être investi dans des solutions sûres et éprouvées : réduire les gaz à effet de serre. Une distraction en somme pour Marine de Guglielmo Weber. « Il est important de ne pas céder à ces discours qui normalisent et légitimes la géo-ingénierie sans réfléchir aux conséquences et aux effets en cascade, car les connaissances sont aujourd’hui embryonnaires sur ce sujet ».

En 2022, un collectif de scientifiques du monde entier a appelé les Nations unies et les gouvernements à mieux contrôler ce phénomène et à « la conclusion d'un accord international de non-utilisation de la géo-ingénierie solaire ».

À écouter aussiGéo-ingénierie : les apprentis sorciers face au climat

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