Pourquoi la ruée sur le krill est une menace pour la planète?
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Dans les eaux glaciales du pôle Sud vit un petit crustacé qui ressemble à une crevette de six centimètres de long et qui pèse deux grammes à peine : le krill. Le krill est peut-être l’animal le plus nombreux sur Terre. Pourtant, la pêche au krill a été multipliée par plus de cinq en 20 ans et les prises ont battu un nouveau record cette année, ce qui inquiète les défenseurs de la nature et les scientifiques, car le krill est fondamental à l’équilibre planétaire.

L'année dernière, une flotte de 12 chalutiers industriels, principalement originaires de Norvège et de Chine, a capturé 500 000 tonnes de krill. C'était déjà un record, mais cette année, d’après une enquête d’Associated Press, il y aurait deux fois plus de bateaux de pêches en activité au large de l’Atlantique, où vit ce petit crustacé en large essaim. Au 30 juin, avant même la fin de la saison de pêche, les prises étaient déjà 60 % plus élevées que la dernière, confirme un rapport confidentiel de la Commission pour la conservation de la faune et de la flore marines de l’Antarctique (CCAMLR).
Les prises de krill grimpent en flèche depuis la mise en place d'un accord de pêche élaboré il y a près de 20 ans. Selon les pêcheurs, elles pourraient encore augmenter sans porter atteinte à la survie de l’espèce.
Puits carbone et maillon fondamental de la chaîne alimentaire
Mais le GIEC et les ONG alertent quand même sur l'impact d’une pêche non durable. La population de krill a chuté de 80 % ces 30 dernières années selon les scientifiques, or le krill est la base de l'alimentation de multiples espèces d'oiseaux, de poissons, de mammifères marins comme certains phoques ou baleines. C'est un maillon fondamental de la chaîne alimentaire, dont dépend tout l'équilibre écologique de la zone antarctique.
Ces petits crustacés se nourrissent d'algues microscopiques qu'on appelle le phytoplancton. Ces algues captent le CO2 de l'atmosphère et après digestion, le krill relargue ce carbone qui tombe au fond de l'océan. Plus de 20 millions de tonnes de CO2 sont ainsi retirées de l'atmosphère chaque année et stockés dans les fonds marins grâce au krill, soit l'équivalent des émissions de gaz à effet de serre de cinq millions de voitures.
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Complément alimentaire et croquettes pour chat et chien
Le krill, habitué des eaux froides, est déjà menacé par le réchauffement climatique. Il est donc maintenant la proie de quelques pays du Nord, explique Jacky Bonnemains, directeur de l'ONG Robin des Bois. « Il est utilisé pour l’aquaculture qui est en expansion pour compenser la baisse de poissons sauvages. »
La farine de krill alimente notamment les élevages de saumons en Norvège. Le pays est responsable des deux tiers des prises de krill antarctique. « La Chine, deuxième pays en termes de prises, la Russie, l’Ukraine, la Corée du Sud et le Chili » en sont également friands. « L’huile de krill est aussi utilisée comme complément alimentaire, car elle est riche en Oméga 3 et elle est aussi incorporée aux croquettes pour chats et pour chiens domestiques », explique le militant.
La demande est en hausse, « ce n’est pas un appétit, c’est de la gloutonnerie », dénonce-t-il. Les chalutiers sont d’ailleurs de plus en plus gros. La Chine vient de mettre à la mer un géant, présenté comme le plus grand navire de pêche au krill, le « Fu yuan Yu 9199 » qui fait 140 mètres de long, renforcé pour briser la glace, avec des filets aux mailles serrées pour attraper ces petites crevettes, puis les aspirer grâce à des pompes jusqu'à l'intérieur du navire où elles sont décortiquées automatiquement.
Échec d’un accord de protection
« Le krill est un animal docile, visible, qui se déplace lentement et il est très facile à pêcher, explique Jacky Bonnemains. D’autant plus facile, qu’on repère les essaims grâce aux panaches des souffles de baleines qui s’en nourrissent. » Dans les filets de ces bateaux, des baleines sont d’ailleurs régulièrement retrouvées mortes.
En Chine, les publicités pour le krill et ses bienfaits, sont partout à la radio ou à la télé. Le pays prévoit de construire cinq autres de ces bateaux-usines.
Cela fait des années qu'un nouveau plan de gestion est en négociation pour équilibrer le marché croissant du krill et les appels à une meilleure protection de la région écologiquement sensible où est pêché le krill. Actuellement, moins de 5 % de l'océan Austral est protégé, ce qui est bien en deçà de l'objectif de la CCAMLR et de celui des Nations unies de préserver 30 % des océans du monde d'ici à 2030.
Un accord a failli être trouvé l'année dernière pour élargir la zone de pêche actuelle et ainsi diminuer la pression sur l'écosystème local et pour créer une réserve de la taille de la Californie. Mais il s’est heurté à une forte opposition de la Chine et de la Russie, qui n’ont pas caché leurs ambitions géopolitiques sur le continent blanc... ni sur les petites crevettes roses au large de ces côtes.

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