Eenam Gambhir (diplomate indienne en France): «Toute attaque terroriste contre l'Inde recevra une réponse appropriée»
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Les relations entre l'Inde et le Pakistan se sont dangereusement tendues à la suite d'une attaque terroriste le 22 avril dernier ayant causé la mort de 26 personnes dans la région contestée du Cachemire, très strictement contrôlée par l'Inde, avec une intense présence militaire et une forte répression. New Delhi accuse Islamabad d'avoir soutenu un groupe terroriste ayant commis l'attentat. Le deux puissances nucléaires ont échangé des tirs d'artilleries, de missiles et de drones. Depuis dix jours, un cessez-le-feu précaire a stabilisé la situation, mais les tensions persistent. L'Inde a suspendu le traité des eaux de l'Indus, permettant l'approvisionnement en eau cruciale pour une partie du Pakistan qui nie toute responsabilité dans l'attentat. Éclairage avec Eenam Gambhir, numéro 2 de la diplomatie indienne en France, interrogée par Nicolas Rocca.

RFI : L’Inde a annoncé reprendre les cérémonies militaires à la frontière avec le Pakistan, dix jours après le cessez-le-feu. Est-ce que vous considérez, à l’image du Premier ministre Narendra Modi, que l’opération Sindoor, nom donné aux frappes indiennes sur le Pakistan, est seulement « en pause », ou bien est-ce qu’on se dirige vers un cessez-le-feu plus durable ?
Eenam Gambhir : Le sujet est celui d’un terrible acte terroriste qui s'est produit le 22 avril à Pahalgam [Cachemire indien, NDLR]. Un attentat d’une brutalité et d'une barbarie sans précédent. Et qui a été mené avec l'intention spécifique de créer des tensions communautaires. Il s'agit d'un acte qui a profondément frappé notre nation. Et cela reflète clairement le malaise de certains au Pakistan concernant le retour à la normale dans le territoire de l'Union du Jammu-et-Cachemire. Nous avons accueilli 23 millions de touristes et 64 % des électeurs ont participé aux élections organisées l'année dernière. Certains Pakistanais ont donc estimé que cette normalité pourrait nuire à leurs intérêts politiques. Et nous pensons que c'est la raison derrière cette attaque.
Le Premier ministre Modi a clairement indiqué que nous établissons une nouvelle norme avec l'opération Sindoor qui reflète notre engagement inébranlable à rendre la justice à ceux qui ont été touchés par ces attaques terroristes. Dans la nuit du 7 au 8 mai, nous avons ciblé seulement des camps terroristes et nous avons prévenu le Pakistan en amont. [Le Pakistan a recensé 40 morts civils en plus de 11 militaires, l’Inde assure avoir frappé neuf bases terroristes, NDLR]. Narendra Modi a déclaré trois choses : en cas d'attaque terroriste contre l'Inde, nous répondrons de manière appropriée partout où les racines du terrorisme émergent. Deuxièmement, l'Inde ne tolérera aucun chantage nucléaire. Troisièmement, nous ne ferons pas de différence entre le gouvernement qui soutient le terrorisme et les cerveaux derrière les actes terroristes. Désormais, la balle est dans le camp du Pakistan.
Est-ce que la suspension du traité des eaux de l’Indus, limitant de fait l’accès à l’eau pour une partie du Pakistan, grandement dépendante de ce fleuve, n’est pas un frein à une paix durable ?
Notre position est la même que celle que nous avions lorsque le traité a été signé en 1960. Dans le préambule, il est inscrit que ce partage est effectué dans l’esprit de l’amitié et de la bonne volonté des deux pays. Et tout le monde peut convenir que perpétrer un acte terroriste ne respecte pas cet esprit.
Nous avons donc décidé que le terrorisme et le commerce ne pourraient aller de pair, tout comme le terrorisme et des négociations. Et l’eau et le sang non plus ne peuvent aller de pair. Donc, nous suspendons cet accord jusqu'à ce que le Pakistan cesse définitivement de soutenir le terrorisme. Et si le Pakistan veut survivre, comme l’a dit notre Premier Ministre, il devra détruire son infrastructure terroriste. Il n'y a pas d'autre moyen de parvenir à la paix.
Est-ce que vous avez des preuves, des éléments concrets à fournir sur le soutien du Pakistan aux groupes terroristes que vous accusez d’avoir perpétré l’attentat qui a tué 26 personnes au Cachemire ?
Ce n'est pas aujourd'hui que l’Inde découvre le terrorisme perpétré par des groupes du Pakistan. Ces dernières décennies, partout sur la planète, il y a eu des attaques qui trouvent leur racine au Pakistan. L'ancien Premier ministre pakistanais Imran Khan a même parlé d'Oussama ben Laden comme d'un martyr. Je ne peux qu'en déduire ce que cela signifie sur leur perception des organisations terroristes. Peut-être pensent-ils que cela sert les objectifs politiques de certains au sein de l'establishment pakistanais ?
Au sujet de l’attaque du 22 avril, nous avons des renseignements techniques qui nous permettent d’établir que les terroristes étaient en contact avec leurs responsables pakistanais. De nouveaux renseignements continuent de nous parvenir et nous n’avons aucun doute à ce sujet. Doit-on partager ces renseignements ? Nous l’avons fait par le passé, nous avons mené des enquêtes conjointes avec une équipe pakistanaise et une Indienne, notamment dans le cas de l'attaque terroriste de Pathankot (2016), nous avons permis à leur équipe de venir dans notre base aérienne et nous n'avons jamais été autorisés à accéder à leur territoire par la suite.
Que répondez-vous au Pakistan qui propose une enquête internationale ?
Nous ne voyons aucune raison d'ouvrir une enquête internationale parce que nous sommes en contact avec tous nos partenaires à ce sujet et je pense que la question d'une enquête internationale ne se pose pas. Je ne veux pas donner de crédibilité à cette idée, née de la volonté du Pakistan de détourner l’attention.
Le Jammu-et-Cachemire est l’un des endroits les plus surveillés au monde, avec une présence militaire parmi la plus élevée au monde, pas d’accès aux journalistes internationaux, mais ces mesures ne suffisent pas à endiguer le terrorisme. Est-ce que cette méthode très dure est la bonne pour le gouvernement indien ?
Nous répondons au terrorisme de la même façon partout à travers notre territoire, nous ne pouvons pas isoler cette région. Notre pays a été confronté en 2001 à un attentat sur notre Parlement, des attaques ignobles ont été perpétrées contre des installations militaires, il y a eu une série d’attentats terroristes à Mumbai en 2008, au cours desquels des civils ont été tués, y compris des Français. Et nous traitons ce défi grave auquel nous sommes confrontés depuis plus de trente ans avec tout le sérieux qu’il mérite.
Concernant le Jammu-et-Cachemire, nous sommes dans un retour à la normalité. L’année dernière, 23 millions de touristes ont visité la région. C’est aussi une attaque envers la colonne vertébrale de l’économie. Tous les partis politiques et toutes les religions ont condamné cet attentat, non seulement en Inde, mais aussi au Jammu-et-Cachemire, bien que cette région soit à majorité musulmane.
Le Pakistan assure avoir abattu trois Rafale, l’Inde refuse de commenter, qu’en est-il ?
Je pense qu'il s'agit d'une question très importante et notre directeur général des opérations, a expliqué que nous sommes en train de procéder à une enquête interne. Des informations seront publiées à l'issue de la procédure, car nous sommes une démocratie et nous devons suivre nos procédures pour ces mécanismes de responsabilité. Concernant les pertes, il y en a, comme dans tout conflit. Ce que je peux dire c’est que tous nos pilotes sont rentrés chez eux sains et saufs.
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