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Chine: colère paysanne face à la chute du prix du blé

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À la Une en Asie ce mercredi 3 juillet, la colère paysanne en Chine face à la baisse des prix des céréales. Les revenus des agriculteurs sont très affectés, notamment dans les régions du nord et de l’est marquées par la sécheresse.

Agriculteur devant sa récolte de blé qui sèche au soleil fin juin dans la province du Hebei.
Agriculteur devant sa récolte de blé qui sèche au soleil fin juin dans la province du Hebei. © Stéphane Lagarde / RFI
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De notre correspondant à Pékin, Stéphane Lagarde avec Chi Xiangyuan 

Un long râteau de bois accroché à l’arrière d’un triporteur électrique tamise le blé étalé sur une bande de béton. L’opération est répétée autant de fois que nécessaire, partout où cela est possible : sur le terrain de basket près de la mairie, sur les routes menant aux fermes. La précieuse récolte doit sécher avant d’être vendue aux intermédiaires.

Baisse du prix du blé et hausse des coûts de production

Sauf que cette année, le blé ne « vaut » plus un radis, nous dit ce paysan que nous ne nommerons pas, comme l’ensemble des personnes rencontrées pendant ce reportage. « On ne gagne quasiment rien, tout au plus quelques centaines de yuans. Les gens sont très mécontents. Vous cultivez la terre, mais les prix sont tellement bas qu’on ne peut rien faire de notre travail. C’est tout juste si on peut vendre notre récolte ! Malheureusement on n’a que ça pour vivre ! »

Après sept mois de dur labeur, ces paysans du Hebei - la province qui entoure la capitale chinoise - ont vu le prix du blé tomber à 1,18 yuans - 15 centimes d’euros - le kilo. Une double peine alors que le nord du pays a subi plusieurs semaines de sécheresse en juin. Chapeau conique vissé sur la tête pour se protéger des lames brûlantes du soleil de midi, cet agriculteur affirme que tout le reste a augmenté. « On doit louer les machines, c’est à peu près 100 yuans - 13 euros - pour récolter un acre de blé ; 40 à 50 yuans pour labourer, et 35 yuans par acre pour l’irrigation. Si bien qu’il ne nous reste plus rien à la fin. »

Le 8 juin 2024, une vidéo est devenue virale sur les réseaux sociaux avant d’être censurée. Une agricultrice se plaignait d’avoir gagné moins de 200 euros pour plus de 7 hectares de blé récolté, alors que dans le système médical coopératif, l’assurance santé des paysans coûte 380 yuans - environ 50 euros - par an. Et d’interpeler les autorités qui depuis quelques années ont supprimé les subventions : « on n’a pas besoin de nouveaux lampadaires ou de nouvelles routes. Il faut d’abord résoudre le problème des prix, afin que les paysans n’aient plus à payer pour travailler. »

La bouteille d’eau minérale plus chère que le kilo de blé

Cette plainte a été largement relayée, notamment dans les régions affectées par la sécheresse. Dans la province centrale du Henan le mois dernier, un agriculteur a ainsi déclaré dans un quotidien local qu’il devait faire la queue tous les jours, parfois dès deux heures du matin, pour pouvoir prendre de l’eau dans un réservoir réservé aux cultures. Les plaines du centre et le nord de la Chine manquent d’eau, alors que le sud et le bassin du Yangtze sont victimes d’inondations à répétition. L’eau est inégalement répartie dans ce pays continent. Heureusement, les réservoirs du Hebei semblent mieux pourvus, mais là aussi la sécheresse n’arrange rien à l’affaire... « On ne peut même pas récolter le maïs, car une partie est desséchée. Même si nous pompons l’eau de la rivière voisine en permanence pour arroser les champs, les sols sont tellement secs que l’irrigation se fait mal. Et bien sûr cette eau supplémentaire à un coût. »

Dans le nord de la Chine, les champs de maïs habituellement verts, sont bruns et poussiéreux.
Dans le nord de la Chine, les champs de maïs habituellement verts, sont bruns et poussiéreux. © Stéphane Lagarde / RFI

Dans les villages traversés, les lourdes portes en métal des propriétés agricoles ont du mal à retenir la colère. « Avec les prix actuels, la marge bénéficiaire est trop mince », se plaint un patron de ferme qui fait travailler des employés sur 28 hectares de terres agricoles. « Vous vous rendez compte, lance-t-il en accompagnant d’un geste de la main son dépit : la petite bouteille d’eau que venez de boire permet d’acheter plusieurs kilos de blé ! » Selon ce dernier, il y a là un manque de volonté politique : « La Chine se soucie-t-elle vraiment des agriculteurs aujourd’hui ? Dans le passé, les empereurs donnaient la priorité aux cultures, car si les gens ne mangent pas à leur faim, cela risque de provoquer le chaos. »

Petites exploitations et surcapacités

Des difficultés à vivre de son travail, surtout quand il s’agit de petites exploitations et dans un contexte économique ralenti. Sur les murs des habitations, des slogans aux caractères rouges incitent à « travailler dur pour le pays » ou à faire des enfants, et des numéros de téléphones inscrits en très gros. Les ex travailleurs agricoles proposent leur bras pour des travaux de terrassement. Sachant que beaucoup ici ne cultivent que des petits lopins de terres -2 ou 3 acres de surface agricole au maximum-, confie cette grand-mère qui ramène son petit-fils de l’école. « Cette année, les prix des céréales ont chuté. Regardez là-bas ! Ils sont encore en train de faire sécher la récolte. Ils hésitent à vendre. Avec des prix aussi bas, les familles vivent au jour le jour. L’agriculture ne rapporte plus rien, mais on doit faire avec, c’est comme ça (rires). ».

Rire gêné des habitants, mais aussi des intermédiaires qui plusieurs fois nous ont demandé de déguerpir en comprenant que nous étions journalistes. Sur la route nationale, long chapelet qui relie les villages ruraux de la région, les centrales céréalières se repèrent aux gros tas de maïs déversés par les camions qui se succèdent sur une plaque de métal au sol servant de balance. Près d’un mini silo à grains, des coqs de basse-cours attendent les grains perdus en embuscade. Appuyé sur sa pelle, cet employé de la centrale a une explication concernant la chute des prix : les surcapacités céréalières du pays : « Les rendements sont suffisants, alors le blé et le maïs valent moins cher. Ce sont les usines agroalimentaires qui fixent les prix. En fait, la production a été trop importante cette année. »

Les températures élevées qui frappent le nord de la Chine pourraient affecter les semis et la récolte d’automne.
Les températures élevées qui frappent le nord de la Chine pourraient affecter les semis et la récolte d’automne. © Stéphane Lagarde / RFI

Importations de Russie et interdiction de manifester

Une production trop importante ? Alors que l’État chinois s’est donné pour objectif l’autosuffisance en céréales en 2032. D’autres critiquent les importations notamment de Russie qui tireraient les revenus des agriculteurs vers le bas. La Russie a multiplié ses exportations de blé vers la Chine par près de 12 entre janvier et mars, pour atteindre 15,8 millions de dollars, alors que les expéditions de blé vers la Chine ont diminué de 18 % sur un an, indiquent les données russes reprises par le Global Times. « Si vous demandez un prix plus élevé, ils importent des céréales étrangères. Vous voyez la Pologne et la France, lorsque les agriculteurs protestent là-bas, les prix remontent. Mais en Chine, le prix des céréales ne cessent de baisser. Et si vous osez protester, vous risquez d’aller en prison. Certains parlent de manifester à Pékin, c’est absurde. »

Manifestation impossible dit ce producteur céréalier, « Nous sommes comme l’herbe courbée par le vent, on va là où le gouvernement souffle », poétise un autre. En 2024, la Chine reste le premier producteur mondial de riz, premier producteur de blé et le deuxième producteur mondial de maïs.

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