Cloé Korman, le corps des femmes comme par enfantement

Entre précision documentaire et poésie du quotidien, le roman «Mettre au monde» de Cloé Korman raconte l’évolution politique et sociétale du corps des femmes des années 70 à aujourd’hui. À travers une question fondamentale : qu’est-ce que mettre un enfant au monde ?

Une sage-femme s'occupe d'un nouveau-né placé en couveuse, juste après sa naissance, le 5 juin 2001 au service maternité de l'hôpital franco-britannique de Levallois-Perret. © Didier Pallages/AFP

En guise d’épigraphe de son roman, elle a choisi une citation de l’écrivaine et universitaire Hélène Cixous : «Pourquoi n’écris-tu pas ? Écris ! (…) Écris-toi : il faut que ton corps se fasse entendre». Et c’est bien ce que Cloé Korman a fait à travers ses personnages, à commencer par ses deux héroïnes dont les destins, parallèles au début, vont finir par se rencontrer. Deux femmes, deux Parisiennes de la même génération que l’autrice qui fait vibrer leurs corps et leurs pensées au fil des chapitres.

«Mettre au monde» : deux personnes au fond peuvent, à chaque naissance, endosser cette responsabilité : la mère qui donne la vie, et la sage-femme qui l’a accompagnée. Cloé Korman met donc en scène le quotidien de ces deux personnages : Marguerite et Jill.

C’est Jill, sage-femme dans une maternité de la banlieue nord, mère solo de deux petits garçons et fille de Jeanne, une ancienne infirmière guadeloupéenne, qui ouvre le roman. Jonglant avec les heures de garde de nuit et les vicissitudes de la vie de maman, elle aime son métier et s’occupe des futures mères et des nouveau-nés avec compétence et bienveillance. On pénètre avec elle dans les odeurs de bétadine qui imprègnent la salle des naissances d’une maternité de Seine-Saint-Denis. On vit avec elle les angoisses, les questionnements, les souffrances et les délivrances de l’accouchement.

Marguerite, elle, est une universitaire qui prépare un colloque sur l’anniversaire de la loi Veil de 1975 dépénalisant l’Interruption Volontaire de Grossesse (IVG). Dans cette optique, elle lit beaucoup, furète dans les archives de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, visionne des films des années 70, et interroge une gynécologue fictive, militante pro-contraception et pro-avortement, engagée pour le Planning familial, le Manifeste des 343. Autant d’éléments qui permettent à Cloé Korman de raconter l’évolution politique du corps des femmes jusqu’à aujourd’hui.

Mais qu’on ne s’y trompe pas : si la mise en perspective historique est un des intérêts de Mettre au monde, le roman n’en est pas moins très contemporain. En témoignent les allusions à l’actualité de 2024 comme les Jeux Olympiques, la guerre à Gaza ou le procès de Mazan, mais aussi au «réarmement démographique» prôné par le président Macron. Sans parler des coups de griffes répétés de Marguerite aux diverses prises de position d’une très médiatique ministre des Droits des femmes.

Mettre au monde, Cloé Korman (Flammarion).

C’est pour mettre des mots sur les émotions et ses propres expériences d’accouchement que Cloé Korman a entamé l’écriture de son roman. © Jean-Philippe Baltel/Éditions Flammarion

Le 26 novembre 1974, Simone Veil, ministre de la Santé, présente à la tribune de l’Assemblée nationale le projet de loi relative à l’interruption volontaire de grossesse. AFP