«Roots and Plates» : une histoire de la cuisine africaine en Belgique
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Des beignets amandazi, un poulet à la moambe, chikwangue, ou un riz pondu : la cuisine d'Afrique subsaharienne se mitonne depuis bien longtemps dans le secret des cuisines, elle se transmet entre générations dans les maisons, et depuis peu, elle commence à sortir, à se montrer et à s’affirmer.

Quel plus bel exemple que « Roots and Plates » le documentaire de Roger Dushime, Will Anderson et Mila Jones sur l’histoire de la cuisine africaine en Belgique, projeté pour la première fois au cinéma à Bruxelles, le 17 février 2025, au cinéma Palace.
Le film explore et raconte l’histoire des Afro-descendants et des Africaines en Belgique par la cuisine, les racines subsahariennes de ces plats dont certains, comme le poulet à la moambe, sont devenus patrimoines communs que l’on ait ou non un lien avec l’Afrique.
« Je voulais », explique Roger Dushime, « que l’on regarde la cuisine africaine avec un regard afro-descendant, avec un regard noir, avec le regard de celui qui apprécie, et pas de celui qui juge, parce qu’il découvre et n’a pas de référents (…) Je voulais des accents différents, montrer l’afro-descendance dans sa complexité. Sa diversité. C’est important d’arrêter de chercher à paraitre mais d’être qui l’on est. »
Sandrine Vasselin Kabonga, la fondatrice de la maison des poivres Misao, parle de la transmission et de l’effet Roots and Plates : « Ce film, déjà c’est historique ! C’est acté et c’est une référence. On a pu poser les jalons et dire : on a ça, ces savoirs, ces diversités culturelles en Belgique. J’aimerais l’aborder du point de vue de notre belgitude. Dans nos communautés afro-descendantes, on doit autant s’affirmer que l’on doit affirmer devant le monde notre identité belge. Plus encore en étant des communautés afro-descendantes, nous devons préserver ces acquis, asseoir ces cuisines africaines, les assumer tout comme nous assumons notre Belgitude. On est au début de ce mouvement, il ne faut pas brûler les étapes. La culture est riche, il nous faut maintenant, des restaurants, des endroits où découvrir ces cuisines, leurs traditions et leurs goûts ».
En images
Avec Roger Dushime, auteur du documentaire « Roots and plates, a story of afrofood in Belgium », réalisé par Will Anderson et Mila Jones et Sandrine Vasselin Kabonga, fondatrice de Misao, maison des poivres et bar à épices africaines.
Pour suivre Roger Dushime , sur Instagram : ou linkedin. Le réalisateur de Roots and plates Will Anderson : et Mila Jones pour le son.
Roots and plates est produit par Underground Creative Agency avec le soutien de «À Nous l'Histoire» du SPF Justice ainsi que d'Africalia.
Sandrine Vasselin Kabonga a créé MISAO. La maison de poivres et bar à épices africaine est située, Place de la vieille Halle aux blés 46, à Bruxelles.
Dans l’émission, quelques extraits du documentaire « Roots and plates » parmi lesquels vous pouvez entendre Naomi Nsungu décrivant sa recette du poulet à la moambe, elle revient sur ses racines et la transmission du patrimoine culinaires par les femmes de sa famille. L’entrepreneur culturel Cédric Mbile, fondateur du festival Afrodisiac.
L’anthropologue Sarah O’Neil ou encore l’historienne Maureen Duru, incitant la diaspora à être courageux et à s’assumer pleinement.
Etre plus courageux Maureen Duru in Roots and plates.
Pour aller plus loin
- L’Afrique cuisine en France, de Vérane Frédiani, aux éditions de la Martinière et sur Rfi
- Goûts d’Afrique, d’Anto Cocagne et Aline Princet, éditions Mango
- Mon Afrique par le chef Anto, éditions Mango
- Le goût de Cotonou, de Georgiana Viou, éditions Ducasse.
- BMK, d’Abdoulaye et Fousseyni Djikine, éditions Hachette Cuisine
- Christophe Boltanski King Kasaï – Stock, dans la collection « Une nuit au musée ».
Programmation musicale :
- Baby (Is it a crime), de Rema.
La recette : Recette de Saka-saka, Pondu, Sombe : feuilles de manioc, selon le ‘Grand Chef Bantou’. Recette comme un cadeau de Sandrine Vasselin Kabonga, fondatrice de Misao.
Étant née au Kivu, et ayant passé mon enfance aussi dans le Maniema, deux régions adjacentes dans l’Est de la RD Congo, le plat qui aura marqué les premières années de ma vie est un incontournable de la cuisine congolaise (des deux côtés du Fleuve Congo) : le saka-saka ou pondu (prononcer pon-dou) – appellations en Lingala, connu aussi sous le nom de sombe (prononcer som-bé) en Swahili. Ce sont des feuilles de manioc pilées, puis bouillies longuement, dont on va relever le goût en y ajoutant divers légumes, aromates, épices et condiments. Dans les régions où j’ai grandi, le sombe se mange accompagné de riz blanc.
Je vais partager avec vous la recette de sombe de mon Kivu maternel et du Maniema de mon enfance, recette que nous avons peaufinée et adaptée dans la famille, recette transmise aussi fidèlement que possible depuis deux générations, entre ceux d’entre nous restés dans notre Congo natal, et ceux ayant migré bon gré mal gré vers l’Europe, jusqu’à cette troisième génération dont les estomacs, les papilles et les souvenirs de famille se sont nourris du sombe ‘traditionnel’ cuisiné avec amour dans une énorme casserole. Notre recette familiale est 100% végétarienne, par choix et pour accommoder tout le monde lors des repas de famille – tant de variantes existent selon les régions, où lors de la cuisson, on ajoutera soit du poisson fumé séché, soit des sardines (ou pilchards) en boîte, soit de la viande de brousse fumée ou boucanée, soit de l’egoussi (graines de courges sauvages pilées), soit des cacahouètes pilées…
Retenez donc que le sombe est un plat de partage ! Donc les proportions de ma recette sont en fonction d’1 kilo de feuilles de manioc pilées.
Ingrédients :
- 1 kilo de feuilles de manioc pilées (privilégiez origine : Afrique Centrale….le terroir influe sur le goût ), congelées ou fraîchement pilées.
- 2 oignons blancs, 2 gousses d’ail, 2 poireaux, 1 courgette, 1 aubergine (longue violette), 1 poivron vert.
- Épices : poivre noir (du Kivu ! – sinon un bon poivre noir Penja ou Sarawak est ok ), 1 cuillère à café de sel, 2 cuillères à café d’ail sauvage moulu (appelé aussi ‘mukubi’ en kikongo, yembe en sosongo- RCA, ‘rondelle’ au Cameroun…).
- 2.5 cuillères à soupe d’huile d’arachide.
- 1 cuillère à soupe d’huile de palme.
- Facultatif : 1 piment rouge frais – gardé entier ! – pour aromatiser.
Étape 1 : mettre vos feuilles de manioc à cuire dans une casserole (salez !) avec 2 x son volume en eau (2 litres), au minimum pendant 2 heures, pour bien les attendrir, et aussi éliminer les traces d’acide naturellement présent dans la plante de manioc, toxique pour l’humain1.
Si vous disposez d’ail sauvage africain moulu, mettez-le dès le début de la cuisson : cet ail de forêt a comme propriété d’aider à attendrir plus vite les feuilles de manioc, et réduire le temps de cuisson des feuilles d’1 bonne heure. Il donnera en plus à votre sombé une saveur encore plus riche !
1 Les feuilles de manioc doivent être bouillies dans une casserole sans couvercle afin de laisser l'acide cyanhydrique (concentration et donc toxicité plus faible que dans le tubercule de manioc) s'échapper durant la phase de cuisson.
Étape 2 : émincez vos poireaux (le vert et le blanc !), oignons, et les gousses d’ail, et débitez en petits cubes la courgette, l’aubergine et le poivron vert (sans les pépins). Ajoutez tous ces légumes coupés dans la casserole de sombe au bout des 2 heures de cuisson, quand vous constatez que les feuilles de manioc sont assez tendres. Ajoutez le poivre (moudre), sel si nécessaire, l’huile d’arachide, réduisez sur feu moyen, et couvrez votre casserole. Ici vous pouvez mettre un piment frais entier dans la préparation, qui donnera au sombe son arôme chaud sans piquer. (Veillez à ce que le piment n’éclate pas, pour éviter que le plat ne pique ). Laissez cuire et réduire pendant encore une bonne heure, jusqu’à ce que les feuilles de manioc soient tendres.
Étape 3 : après 3 bonnes heures de cuisson, votre sombe doit être prêt, les feuilles de manioc bien attendries et cuites, les légumes ajoutés ayant renforcé les saveurs de ce plat entièrement végétal ! La courgette et l’aubergine apportent la douceur et la rondeur, le piment des effluves chauds, le poivron sa légère amertume, et les cousins que sont l’ail, l’oignon et le poireau les arômes nécessaires pour relever ce mets !
La touche ultime ? Une cuillère à soupe d’huile de palme en fin de cuisson, pour nous rappeler le goût authentique et gourmand de ce plat, sans l’alourdir ! Servez votre sombe avec du riz blanc fumant !
Malgré le matriarcat bienveillant régnant naturellement dans la branche maternelle congolaise de ma famille, surtout lorsqu’il s’agit de nous réunir autour de la table, cette recette maintenant adoptée et incontournable du sombe chez nous, a été transmise, peaufinée et perpétuée par … mon père, normand de naissance et congolais par choix amoureux – et que tous, petits et grands, amis et collègues, ont appelé tendrement, pendant plus de 60 ans, Grand Chef Bantou.
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