Narendra Modi et Emmanuel Macron ont effectué une visite éclair à Marseille. Le Premier ministre indien et le président français ont affiché leur relation privilégiée et ouvert un nouveau consulat d’Inde dans la cité phocéenne. Mais ils souhaitaient également montrer que le projet de route maritime et terrestre entre l’Inde et l’Europe en passant par le Moyen-Orient est toujours en vie.

« L’Imec est notre première priorité » a lancé mercredi 12 février Narendra Modi, dans l’immense tour CMA CGM qui domine le port de Marseille. Accueilli avec ferveur par la communauté indienne, le Premier ministre indien a inauguré un nouveau consulat, rendu hommage aux soldats indiens tombés durant la Première Guerre mondiale et visité le réacteur nucléaire à fusion expérimental ITER. Pas d’annonce fracassante sur les ventes de Rafale marines ou la construction des six réacteurs EPR qui avait fait l’objet d’un mémorandum d’entente signé en 2009, mais avec Emmanuel Macron ils souhaitaient montrer qu’un projet est toujours dans les tuyaux : l’Imec, vaste projet de corridor économique entre l’Inde, le Moyen-Orient et l’Europe.
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4 800 km
L’India-Middle East-Europe Economic Corridor (Imec) a été annoncé en 2023 lors du sommet du G20 à New Delhi. Ce projet vise à établir une route commerciale alternative au canal de Suez, permettant d’éviter les perturbations causées par les attaques de rebelles houthis du Yémen. L’Imec prévoit un trajet combinant transport maritime et terrestre de 4 800 km : les marchandises partiraient d’Inde vers les Émirats arabes unis ou l’Arabie saoudite, avant d’être transférées par voie terrestre, idéalement ferroviaire, jusqu’au port israélien de Haïfa, d’où elles rejoindraient Marseille par bateau.
En plus du transport de biens commerciaux, cette nouvelle route ambitionne aussi de favoriser l’acheminement d’énergie, notamment via des gazoducs et des infrastructures pour le transport d’hydrogène. Plusieurs acteurs ont rejoint officiellement l’initiative, dont l’Union européenne, les États-Unis, les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite.
À Marseille, considérée comme la porte d’entrée européenne de l’Imec, Emmanuel Macron et Narendra Modi affichent leur volonté commune de faire avancer le projet. « Marseille pourrait être le point d’entrée de tout le marché européen avec l’Inde de l’autre côté… Nous pourrions organiser un forum économique sur l’Imec en Inde », a déclaré le président français. « Ensuite, nous pourrons l’étendre jusqu’au Vietnam, la Birmanie… », ambitionne de son côté le Premier ministre indien, faisant allusion à deux pays membres des Nouvelles routes de la soie de Xi Jinping.
Malgré ces déclarations d’intention, aucun engagement concret n’a été pris. Le cadre semblait pourtant parfait dans l’imposante tour de la CMA CGM, numéro trois mondial du transport maritime. L’entreprise phocéenne est bien implantée en Inde, où elle est implantée « depuis 34 ans, emploie 17 000 personnes et opère 18 services maritimes », souligne Rodolphe Saadé, son PDG. Mais dans le centre de contrôle de la flotte de l’entreprise, Emmanuel Macron et Narendra Modi ont échangé des vœux pieux, affichant leur volonté, sans annonces sur des investissements ou des partenariats entre entreprises indiennes et françaises, concernant l’Imec. Dans leur déclaration commune, les deux dirigeants se sont contentés d’affirmer leur volonté de convenir de « travailler ensemble en plus étroite coopération à la mise en œuvre de cette initiative ».
Des obstacles géopolitiques majeurs
L’enthousiasme affiché contraste avec la réalité du terrain. Depuis son annonce, le contexte international a considérablement évolué. À l’époque, l’administration Biden soutient activement le projet, et la situation géopolitique au Moyen-Orient semble plus favorable. Les Émirats arabes unis avaient signé depuis peu les Accords d’Abraham, normalisant ses relations avec Israël, et l’Arabie saoudite semblait prête à suivre. Un contexte d’apaisement qui facilitait la mise en place du corridor. L’Imec devait même tisser des liens commerciaux à même de pérenniser les accords.
Mais la guerre à Gaza, déclenchée après le 7 octobre, a bouleversé les équilibres régionaux. Avec les dizaines de milliers de morts et un projet d’expulsion des Palestiniens de l'enclave voulue par Donald Trump, la situation est plus délicate pour les pays arabes. Le projet a été pensé sur des routes ferroviaires déjà préexistantes, mais nécessite des constructions supplémentaires, difficile à envisager dans le contexte géopolitique de la région. Riyad semble conditionner la reprise de l’Imec, comme la normalisation de ses relations avec Israël à la contrepartie d’un État palestinien. À cela s’ajoute l’impopularité d’une collaboration avec Tel Aviv dans la population saoudienne. Fin 2023, un sondage du Washington Institute for Near East Policy, 96 % des Saoudiens étaient favorables à la rupture de contact « diplomatique, économique et autre ».
Pour l’Inde, l’intérêt à surmonter ces montagnes géopolitiques est clair alors que plusieurs de ses voisins ont déjà rejoint les Nouvelles routes de la soie chinoises. En France, Emmanuel Macron a nommé un haut responsable chargé du dossier. Mais malgré cette volonté politique et l’espoir que représentait, notamment pour la CMA CGM, la venue de Narendra Modi à Marseille, l’Imec peine à se concrétiser et les promesses tardent à se transformer en investissements réels.
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